Au Vieux-Colombier, la metteuse en scène s’inscrit dans les pas de Federico Fellini et transforme son projet cinématographique maudit en aventure théâtrale prenante.
D’André à Comme une pierre qui…, de Vers Wanda à Cataract Valley, Marie Rémond se plait dans les espaces textuels singuliers, où il est question, toujours, de faire advenir le théâtre là où, précisément, on ne l’attendait pas. Dans cette droite lignée, Le Voyage de G. Mastorna lui offrait une matière de premier choix, tant par la qualité du scénario lui-même, que par l’épopée artistique qui l’entoure.
Lancé par Federico Fellini à la fin des années 1960, ce projet cinématographique, un rien délirant, n’aura finalement, jamais vu le jour, si ce n’est sous la forme d’une bande dessinée tronquée. Entré en phase de pré-production, ce film maudit n’aura eu de cesse d’être repoussé, à cause de problèmes de tournage insolubles, et des craintes du réalisateur, peu à peu dévoré par sa créature qui l’aura mis, bien malgré lui, face à ses démons artistiques et intimes.
Brillant sur le papier, le scénario se focalise sur le personnage de Giuseppe Mastorna, un violoncelliste internationalement reconnu, en route pour Florence où il doit donner un concert. Victime d’un accident aérien, l’homme est conduit dans un motel pour y passer la nuit, mais tout y semble déréglé : le réceptionniste se révèle hostile, les moyens de communication sont coupés, ses papiers d’identité refusés. Pris dans un tourbillon d’événements curieux, proches d’hallucinations, Mastorna perd progressivement pied, jusqu’à se demander s’il est toujours bien vivant.
Plutôt que d’adapter ce scénario à la lettre, et risquer de se heurter à un mur, Marie Rémond a préféré s’en emparer par la bande. Grâce à une masse documentaire impressionnante – livres, lettres, témoignages… – qu’elle s’est appropriée avec l’aide de Thomas Quillardet et Aurélien Hamard-Padis, elle a pu reconstituer, avec une bonne dose de fiction inspirée de faits réels, les quelques jours d’essais organisés par Fellini dans la perspective du tournage à venir. Entouré par un casting hétéroclite, où Marcello Mastroianni fait office de guest star, s’y découvre, entre deux scènes, un réalisateur sous influence, en pleine crise artistique, en proie à un doute furieux qui le fait lâcher-prise et interpréter n’importe quel contretemps comme un signe du destin.
Représenter une telle session de tournage sur un plateau de théâtre n’avait rien d’évident, et pourtant, Marie Rémond parvient à la transformer, grâce à un texte particulièrement écrit et à une scénographie à l’artisanat très travaillé, en une aventure prenante. Epaulée par le talent des comédiens-français, et tout particulièrement de Serge Bagdassarian et Laurent Lafitte, impeccables en Fellini et Mastroianni à la fois solides et torturés, elle navigue, en permanence, entre le réel et la fiction, et fait ruisseler le malaise existentiel de Mastorna-Fellini jusqu’à ses spectateurs. Quitte parfois à leur donner, à eux aussi, un léger tournis.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Voyage de G. Mastorna
d’après Federico Fellini
Mise en scène Marie Rémond
Avec Alain Lenglet, Serge Bagdassarian, Nicolas Lormeau, Georgia Scalliet, Jérémy Lopez, Jennifer Decker, Laurent Lafitte et Yoann Gasiorowski
Traduction Françoise Pieri
Adaptation Marie Rémond, Thomas Quillardet et Aurélien Hamard-Padis
Scénographie Alban Ho Van
Costumes Marie La Rocca
Lumière Jérémie Papin
Son Dominique Bataille
Film Avril Tembouret
Maquillages et coiffures Cécile Kretschmar
Collaboration artistique Thomas QuillardetDurée : 2h
Théâtre du Vieux-Colombier
Du 28 mars au 5 mai 2019
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