Plus de vingt ans après avoir monté la pièce d’Hamlet, Krzysztof Warlikowski poursuit sa quête du héros shakespearien à l’Opéra de Paris, dans la version lyrique d’Ambroise Thomas, portée par une distribution de chanteurs épatants de plénitude vocale et théâtrale.
Sur un livret de Barbier et Carré, l’Hamlet de Thomas s’inscrit dans la démesure spectaculaire (et parfois vilipendée) du grand opéra romantique à la française en cinq actes et avec partie ballet. L’œuvre ne manque pas d’emphase ni de longueurs mais la direction inspirée, passionnée, du jeune chef d’orchestre Pierre Dumoussaud évince vite les a priori tant elle fait corps avec la richesse, la beauté chatoyante et la portée émotionnelle de la partition, sans donner dans l’excès et le surplus d’effets. Longtemps délaissé, l’ouvrage n’avait encore jamais été joué à Bastille. Sa dernière exécution à l’Opéra de Paris remonte aux années d’avant-guerre sur la scène du Palais Garnier. Familier du théâtre shakespearien et de ses adaptations lyriques, Krzysztof Warlikowski assure la mise en scène. Celui qui s’est fait découvrir à l’Opéra de Paris en signant une Iphigénie de Gluck en maison de retraite revisitant sa tumultueuse vie, place aujourd’hui Hamlet en hôpital psychiatrique et confirme ainsi son génie pour pénétrer dans les méandres de la mémoire et des traumas de personnages en marge, fragilisés et torturés par leur poisseux passé, cela grâce au recours au flashback qui brouille le temps et la perception du réel.
Warlikowski met en scène un Hamlet prisonnier de sa folie comme des innombrables barres de fer qui quadrillent la scène et la font s’apparenter à une cage métallique, un espace sordide et assez laid néanmoins irradié par l’éclat blême d’une lune tutélaire. Ce lieu clinique et confiné sert de décor à la fois immense et intimiste dans lequel les pensionnaires de l’hospice, des fous à lier pourtant dotés de sagacité derrière leurs simagrées, errent et s’agitent à l’occasion d’étranges va-et-vient et de danses grotesques. Le meurtre de Gonzague, sorte de pantomime aux gestes outrés sur saxophone vrillant, en est un édifiant exemple. Le lit d’une chambre-cellule et une table ronde constituent le seul mobilier. Gertrude, la mère monstrueuse d’Hamlet, est une vieille femme bourgeoise clouée sur un fauteuil roulant et scotchée à un poste de télé qui diffuse Les dames du bois de Boulogne de Robert Bresson. Hamlet est un homme mur, solitaire et tourmenté, qui joue avec la flamme d’une bougie jusqu’à lui-même se consumer. Le spectre de son père apparaît sous les traits d’un clown blanc, une sorte de Pierrot lunaire, renvoyant à l’enfance d’un héros en souffrance qui, lui-même endossera le costume mais obscurci d’une couleur de deuil. Comme à son habitude, Warlikowski propose une étude dramaturgique fouillée et une direction d’acteurs ciselée. Il obtient des interprètes le meilleur d’eux-mêmes pour restituer le texte avec intelligibilité, et se plonger dans la densité et la complexité du jeu.
Si Stéphane Degout s’est souvent illustré comme le titulaire incontournable du rôle-titre sur les scènes européennes, Ludovic Tézier, chanteur verdien par excellence, est l’interprète d’Hamlet sur la scène de la Bastille, rôle dans lequel il livre une de ses plus phénoménales interprétations scéniques. Métamorphosé en acteur de premier plan, il dessine un personnage d’envergure qui outrage, offense, affronte la bienséance et l’autorité. La voix du baryton est d’une ampleur telle qu’elle semble s’être encore largement étoffée et assombrie, au point de donner une souveraineté ténébreuse au personnage d’Hamlet, dont les ténèbres intérieurs contrastent avec la si lumineuse Ophélie de Lisette Oropesa, soprano brillante, pleine d’ardeur et de ductilité, même dans l’inconfort d’une périlleuse scène de folie où l’aigu et l’expression se déploient sans la moindre fragilité jusqu’à la mort du personnage dans sa baignoire, mort que les chœurs accompagneront d’une bouleversante prière finale. Jean Teitgen en percutant Claudius et Eve-Maud Hubeaux dont la voix grave est acérée et puissamment projetée, donnent beaucoup de relief au couple contesté qu’ils forment. On est saisi par la manière dont Hamlet attrape à la gorge sa fière et hautaine mère puis se couche incestueusement à ses côtés. Sa soif de vengeance et de vérité trouve une épaisseur poignante dans cette représentation qui en dépit d’une certaine froideur illustre bien l’adage : les plus sages sont les fous.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Hamlet
D’après William Shakespeare
Musique
Ambroise Thomas
(1811 – 1896)Livret
Michel Carré
Jules Barbier
Direction musicale
Thomas HengelbrockAvec
Hamlet
Ludovic TézierClaudius
Jean TeitgenLaërte
Julien BehrSpectre du roi défunt
Clive BayleyHoratio
Frédéric CatonMarcellus
Julien HenricMise en scène
Krzysztof WarlikowskiDécors et costumes
Małgorzata SzczęśniakLumières
Felice RossVidéo
Denis GuéguinOrchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Hamlet fait l’objet d’une captation réalisée par Stéphane Metge, coproduite par l’Opéra national de Paris, Arte et Telmondis, avec le soutien du CNC et de la Fondation Orange, mécène des retransmissions audiovisuelles de l’Opéra national de Paris.
Ce spectacle sera retransmis en direct le 30 mars 2023 sur Arte concert, et avec le concours de FRA cinéma, dans les cinémas UGC, dans le cadre de leur saison « Viva l’Opéra ! » et dans des cinémas indépendants en France et en Europe, et ultérieurement dans le monde entier. Diffusion sur Arte Concert le 30 mars 2023 et le 2 mai 2023 dans les cinémas CGR.
Diffusion ultérieure sur France Musique à 20h dans le cadre de l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.
3h40 avec 1 entracte
Opéra Bastille
du 08 mars au 09 avril 2023
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