Cyril Teste, qui mêle souvent habilement théâtre et cinéma, signe à l’Opéra Comique sa première mise en scène lyrique avec Hamlet d’Ambroise Thomas. Si son travail très contrôlé et un brin trop propret ne rend pas compte de toute la flamboyance de l’œuvre inspirée de Shakespeare, ses interprètes triomphent, notamment Stéphane Degout, excellent dans le rôle-titre, et Sabine Devieilhe en radieuse Ophélie.
En simple jean et chemise sous un long manteau gris et des baskets aux pieds, Hamlet traîne sévèrement sa dégaine anticonformiste et hostile à la belle et mondaine société antithétiquement apprêtée. Tout respire le luxe bourgeois. La scène inaugurale du couronnement de Claudius (solide Laurent Alvaro) se présente comme une soirée de gala avec tapis rouge, photographes et buffet dînatoire. Coupes de Champagne et fleurs coupées, beaux visages, fracs chics et robes de soirées, couleurs pastels, lumières tamisées et tutti quanti s’affichent à la fois sur le plateau et sur un écran qui le surplombe. Théâtralement, il ne se passe pas grand chose. Il manque quelque chose de vraiment tortueux, caverneux, cauchemardesque à cette entrée en matière un peu lisse comme à l’entièreté du travail proposé.
Le spectacle n’est pourtant pas dépourvu de qualités. L’intimité et l’ambiguïté des relations qu’entretient Hamlet avec sa mère (l’imposante Gertrude pleine d’autorité de Sylvie Brunet-Grupposo) et feu son père (Jérôme Varnier, spectre charismatique apparaissant au parterre au milieu du public) sont sensiblement montrées. En travaillant sur Thomas Vinterberg, Cyril Teste a déjà exploré jusqu’au malaise l’effritement des rapports familiaux. Il est apparemment dans son élément. Il y a aussi une belle poésie dans la conclusion de la scène de la folie où Sabine Devieilhe rappelle Kirsten Dunst dans Melancholia de Lars Von Trier. D’une délicatesse inouïe, la soprane entonne tout en nuances sa chanson scandinave accompagnée par un orchestre susurrant puis se laisse aller avec une égale délicatesse au vertige de vocalises assurées. En cet instant divin, des techniciens rangent derrière elle le décor et installe le tableau suivant. Quelle maladresse ! On a connu meilleur procédé pour mettre en valeur l’air de bravoure d’une cantatrice.
C’est ainsi que chez Teste le dispositif scénique passe au premier plan. C’est dans la mobilisation de moyens importants voire envahissants que réside l’ambition du spectacle. Un rideau blanc serpente la scène du lointain à la rampe et réciproquement, il sert de support de projections aux nombreuses images filmées en direct ou pré-enregistrées. La vidéo occupe une large place, elle permet l’utilisation du gros plan comme du hors-champs pour mieux renforcer la proximité ou la distance entre les personnages et faire résonner les enjeux médiatico-politiques de la pièce transposée à l’heure d’aujourd’hui.
Pour autant, on doit le frisson et l’émotion aux interprètes plus qu’aux images, aussi léchées et sophistiquées soient-elles. Stéphane Degout est un somptueux Hamlet, moins sauvage et écorché que dans la mise en scène d’Olivier Py créée au Theater an der Wien et reprise à La Monnaie de Bruxelles où il se jetait à corps perdu et se mettait littéralement à nu. L’interprétation voisine moins ici avec l’autodestruction qu’avec la dépression. L’incarnation plus intériorisée est moins sidérante. Il n’empêche que le rôle lui va toujours comme un gant. On admire la profondeur de son jeu comme de son chant, la diction parfaite, le velours de son timbre, la puissance de sa voix sur toute l’étendue de la tessiture. A ses côtés, Sabine Devieilhe est une Ophélie absolument magnifique. Peut-être craint-on trop de retenue en première partie, mais la scène de la folie est un sommet d’aisance et de finesse musicales.
Louis Langrée défend avec ferveur une partition déjà dirigée à Londres et à New York. Le geste est ample, le son généreux, forcément dû à l’effectif exceptionnel de musiciens en fosse de la salle Favart. L’Orchestre des Champs-Elysées impose sans lourdeur toute la tension nécessaire. Les montées en puissance ne retombent que pour finement épouser les accents d’un lyrisme élégiaque. Car la fosse assume aussi bien le dramatisme glaçant que la sentimentalité aiguë d’une musique quelque peu oubliée et parfaitement réhabilitée.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Hamlet de Ambroise Thomas
Opéra en cinq actes. Livret de Michel Carré et Jules Barbier d’après Shakespeare. Créé le 9 mars 1868 à l’Opéra (salle Le Peletier).
Direction musicale
Louis Langrée
Mise en scène
Cyril Teste
Décors
Ramy Fischler
Costumes
Isabelle Deffin
Dramaturgie
Leila Adham
Lumières
Julien Boizard
Régisseur vidéo
Mehdi Toutain-Lopez
Technicien vidéo
Nicolas Dorémus
Assistant direction musical
Julien Masmondet
Cheffe de chant
Marine Thoreau La Salle
Chef de chœur
Joël Suhubiette
Assistante mise en scène
Céline Gaudier
Assistante décors
Nina Chalot
Assistante costumes
Marion Duvinage
Assistants dramaturgie
Joséphine Bargas, Killian Francisco
Hamlet
Stéphane Degout
Ophélie
Sabine Devieilhe
Claudius
Laurent Alvaro
Gertrude
Sylvie Brunet-Grupposo
Laërte
Julien Behr
Le Spectre
Jérôme Varnier
Marcellus, Deuxième Fossoyeur
Kevin Amiel
Horatio, Premier Fossoyeur
Yoann Dubruque
Polonius
Nicolas Legoux
Chœur
Les éléments
Orchestre
Orchestre des Champs-Élysées
Nouvelle production
Opéra Comique
Coproduction
Collectif MXM, Opéra Royal de Wallonie, Croatian National Theatre in Zagreb. Dans le cadre du partenariat Beijing Music Festival / Opéra Comique.Durée : 3h20
Opéra Comique
24 janvier au 3 février 2022
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