Au festival d’Aix-en-Provence, un plateau vocal plutôt juvénile et débridé défend en s’amusant des Noces de Figaro plombées par la mise en scène plus boulevardière que militante de Lotte de Beer qui cumule sans finesse les gags graveleux.
Si l’ouverture débitée à toute berzingue convoque devant un rideau rouge la Commedia dell’arte et ses figures archétypales qui dansent et s’étreignent dans l’allégresse, ce serait se méprendre de penser que la nouvelle production aixoise des Noces de Figaro tienne davantage de la tradition que de la modernité. Mozart s’y fait l’écho de sujets qui animent et agitent notre propre temporalité. Inspirée du mouvement #MeToo qui encourage la prise de parole des femmes et la contestation de l’omnipotence masculine, la metteuse en scène Lotte de Beer se saisit des tensions sexuelles consubstantielles à l’œuvre en les actualisant. Tout cela dans une débauche effervescente d’idées et de clichés un brin poussifs et appuyés.
Sur un rythme effréné, se multiplient des intrigues burlesques et scabreuses qui pourraient être jubilatoires si le propos scénique et dramaturgique n’était pas aussi lourdement et ridiculement accentué. Truffés d’effets, les deux premiers actes fonctionnent sur le principe d’une pure parodie qui emprunte son esthétique ringarde à celle des feuilletons télévisés. L’espace figure plusieurs pièces d’une maison cossue mais kitsch à souhait. Les interprètes passent à travers les cloisons poreuses et peu solides d’une chambre maritale, d’un salon, et de la buanderie où Cherubino finira malgré lui par tournebouler dans la batterie de la machine à laver avant de chanter sa romance le sexe protubérant dans son jogging d’adolescent.
La distribution réunit de jeunes chanteurs faisant preuve d’autant d’abattage que de vivacité. Tous se laissent aller au plaisir évident du jeu mais le chant, sans trop démériter, paraît quelque peu sous-dimensionné. Souvent, les voix passent mal et portent trop peu. A commencer par le Cherubino de Lea Desandre bien menu, au bord de l’inaudible. La Suzanne pleine de charme de Julie Fuchs manie avec dextérité et fraîcheur l’équipement de ménage, la comtesse dépressive de Jacquelyn Wagner s’essaie au fitness avant de chercher par tous les moyens possibles de se supprimer, du sèche-cheveux au fusil de chasse. Gyula Orendt compose un comte libidineux et déchaîné qui calme sa voracité sexuelle en chevauchant la table à repasser et papillonne autour d’une bardée de jeunes pom-pom girls en jupes courtes couleur rose bonbon.
Dans le rôle-titre, Andrè Schuen tire vraiment son épingle du jeu. Le chanteur possède une voix charnelle et puissante à laquelle s’ajoute la fière allure d’un Almaviva qu’il chante aussi à l’occasion. Il demeure un Figaro lui aussi testostéroné mais sans manquer de l’élégance qui fait cruellement défaut ailleurs.
Littéralement grisé, survolté, par la dynamique théâtrale mais parfois au mépris de la justesse et de la précision, l’étourdissant Balthasar Neumann Ensemble que dirige Thomas Hengelbrock offre une lecture jamais lisse mais parfois débraillée qui se permet quelques excentricités plus ou moins heureuses. Un manque de cohésion, des tempi inconstants et des sonorités grailleuses finissent enfin par laisser place à davantage de finesse et de suavité dans la seconde partie.
Si tout semble d’un prosaïsme et d’une épaisseur assumés, cela culmine lors de l’apparition désordonnée de poupées gonflables et de phallus géants. Passé l’entracte, le spectacle transitionne du plouc au pop. Exit l’hyperréalisme de pacotille au profit d’un dépouillement arty avec cube transparent, néons blancs et lettres lumineuses. Contrepoint surprenant, cette seconde partie est aussi vide et crépusculaire que la première est colorée et encombrée. Cette fois, le ton n’est plus à l’amusement mais se voudrait militant. L’aspect carnavalesque du travail précédemment proposé ne disparaît pas pour autant. Pour s’en convaincre, il faut voir les tenues laineuses et les phallus postiches dont sont affublées Barbarina et Marcelline rejointes par tous les chanteurs et danseurs. Ensemble, ils évoquent le pouvoir de résistance féministe du tricot dans une sorte de happening autour d’un gigantesque arbre organique et (toujours !) érectile. Sans doute d’inspiration kawaii, l’objet d’une confondante naïveté prétend effacer la guerre des sexes et se présente comme le totem d’une prometteuse utopie non-genrée.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les Noces de Figaro
OPERA BUFFA EN QUATRE ACTES
LIVRET DE LORENZO DA PONTE INSPIRÉ DE LA COMÉDIE DE BEAUMARCHAIS, LE MARIAGE DE FIGARO
CRÉÉ LE 1ER MAI 1786 AU BURGTHEATER DE VIENNE
Direction musicale
Thomas Hengelbrock
Mise en scène
Lotte de Beer
Décors
Rae Smith
Costumes
Jorine van Beek
Lumière
Alex Brok
Dramaturgie
Peter te Nuyl
Il Conte di Almaviva
Gyula Orendt
La Contessa Almaviva
Jacquelyn Wagner
Susanna
Julie Fuchs*
Figaro
Andrè Schuen
Cherubino
Lea Desandre*
Marcellina
Monica Bacelli
Il Dottor Bartolo
Maurizio Muraro
Don Basilio / Don Curzio
Emiliano Gonzalez Toro*
Barbarina
Elisabeth Boudreault
Antonio
Leonardo Galeazzi
Chœur
Chœur du Cnrr de Marseille
Orchestre
Balthasar Neumann Ensemble
*ancien et anciennes artistes de l’Académie
NOUVELLE PRODUCTION DU FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE
EN COPRODUCTION AVEC LE TEATRO REAL DE MADRID— AVEC LE SOUTIEN DE MADAME ALINE FORIEL-DESTEZET, GRANDE DONATRICE EXCLUSIVE DU THÉÂTRE DE L’ARCHEVÊCHÉ
Festival d’Aix 2021
THÉÂTRE DE L’ARCHEVÊCHÉ
30 JUIN
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