Le théâtre de Mohamed El Khatib est documentaire. Passionné de football, il raconte dans Stadium la formidable aventure humaine des supporters du RC Lens, le public le plus sympathique de France. Mais la forme théâtrale était-elle la bonne façon d’appréhender ce sujet ?
Les éclairages de ce mini stade s’allument un à un aux quatre coins de la salle. Un trompettiste joue les notes de Maurice Jarre que l’on entend avant chaque spectacle du Festival d’Avignon, puis enchaine avec un Olé repris en cœur. Le postulat de base de Mohamed El Khatib est séduisant sur le papier : faire se rencontrer deux sortes de publics et parler sur un plateau de théâtre du monde ouvrier d’aujourd’hui. Mais très vite le rapport entre ces supporters tous magnifiques dans leurs démarches et dans leurs témoignages, et le public bourgeois du théâtre met mal à l’aise. On doute de la sincérité des quelques rires qui fusent dans la salle. Rires moqueurs en entendant l’accent Ch’ti ? Rire de bienveillance en écoutant les histoires touchantes de ces supporters qui vivent leur passion à fond ? C’est difficile à dire et franchement on a eu le désagréable sentiment que le public observait ces femmes et ces hommes comme des animaux dans un parc zoologique. On sait que ce n’est pas l’intention de Mohamed El Khatib qui est un authentique humaniste, mais cette idée est restée ancrer pendant tout le spectacle.
Pour bien connaître le monde du football, et notamment le public lensois et son arène le Stade Bollaert, on peut dire que Mohamed El Khatib n’évite pas les clichés malgré un travail acharné et documenté de deux ans. Le spectacle n’échappe pas au folklore (la baraque à frites, la mascotte…) On pense ce que l’on veut du football d’aujourd’hui gangréné par l’argent étranger (le club de Lens appartient à Joseph Oughourlian, un homme d’affaires français d’origine arménienne, fondateur du fonds d’investissement Amber Capital), mais le stade est en France le seul endroit de mixité sociale, où se croisent des PDG, des cadres, des fonctionnaires, des ouvriers, des français de toutes les couleurs de peau. Ce qui n’est malheureusement pas vrai dans les théâtres publics qui commencent seulement à rattraper leur retard. Mohamed El Khatib présent pendant une bonne partie du spectacle au bord du plateau pour soutenir ces supporters-acteurs amateurs a tout le loisir de le dire pour mettre en perspective ce travail documentaire.
Sur la forme, il y a dans le spectacle de très beaux moments, notamment la rencontre avec Yvette, une fringante supportrice de 85 ans, présente sur le plateau avec certains de ces enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants. On sent que l’amour du football est plus fort que tout. A Lens, c’est une véritable religion – d’ailleurs un curé vient en témoigner – qui dépasse les clivages politiques très marqués dans le bassin minier où le vote Front National a remplacé le vote communiste. On rit de bon cœur à certaines anecdotes très croustillantes, comme celle de ce jeune homme descendu de Lens à Monaco en voiture électrique parce que son père n’avait plus le permis. Un voyage de 37 heures pour se prendre un 4 à 0 dans les valises !
La haine des supporters du PSG n’est pas passée sous silence avec l’évocation de la banderole honteuse “Pédophiles, chômeurs, consanguins : bienvenue chez les Chtis” déployée pendant la finale de Coupe de France en 2008. On est beaucoup plus dubitatif sur le plaidoyer contre la victimisation des Ultras, dont certains membres mettent cependant parfois en avant sous couvert d’un amour pour le football des idéologies de droite ou de gauche. Au final, ce spectacle qui part d’un bon sentiment continue de renvoyer l’image d’un Pas-de-Calais ouvrier, un peu miséreux ; tout ce que des générations de nordistes ont tenté de contrer depuis la fermeture des dernières mines de charbon.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Mohamed El Khatib
Stadium
Conception, réalisation, Mohamed El Khatib, Frédéric Hocké
Texte, Mohamed El Khatib
Avec une soixantaine de supporters du Racing Club de Lens
Environnement visuel, Fred Hocké
Environnement sonore, Arnaud Léger
Collaboration artistique, Violaine de Cazenove, Éric Domeneghetty, Thierry Péteau
Régie, Zacharie Dutertre, Olivier Berthel
Production, Diffusion, Martine Bellanza
Attachée de presse, Nathalie Gasser
Production Collectif Zirlib // Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings // Coproduction Centre dramatique national de Tours-Théâtre Olympia ; Théâtre National de Bretagne – Centre Européen Théâtral et Chorégraphique (Rennes) ; Tandem scène nationale (Arras-Douai) ; Le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique (Nantes) ; Châteauvallon – Scène nationale ; Théâtre du Beauvaisis ; Les Scènes du Golfe (Vannes) ; La Colline – théâtre national (Paris) ; Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris // Coréalisation La Colline – théâtre national (Paris) ; Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris pour les représentations à La Colline – théâtre national // Avec le soutien de La Scène – Musée du Louvre-Lens et de Sylvie Winckler // Accueil en résidence Ville de Grenay, Le Quai Centre dramatique national Angers Pays de la Loire //
Le Collectif Zirlib est conventionné par le ministère de la Culture et de la Communication – Drac Centre-Val de Loire, porté par la Région Centre-Val de Loire et soutenu par la Ville d’Orléans // Mohamed El Khatib est artiste associé au Théâtre de la Ville – Paris, au Centre dramatique national de Tours – Théâtre Olympia et au TnB – Théâtre national de Bretagne.Spectacle créé le 16 mai 2017 au Tandem scène nationale (Arras-Douai)
Spectacle présenté en partenariat avec France Inter
Durée: 1h45Festival d’Automne 2017
La Colline – théâtre national (dans le cadre de la saison du Théâtre de la Ville)
27 septembre au 7 octobreThéâtre Alexandre Dumas / Saint-Germain-en-Laye
12 octobreThéâtre de Chelles
13 octobreThéâtre Louis Aragon / Tremblay-en-France
14 octobreL’Avant Seine / Théâtre de Colombes
10 novembreThéâtre du Beauvaisis, Scène nationale de l’Oise en préfiguration Beauvais – Compiègne
16 et 17 novembre
Capron est le patronyme d’un arbitre fort contesté de la galaxie foot…L’arbitrage d’un autre Capron n’est lui pas exempt de clichés, comme le serait le spectacle qu’il jauge et juge. Au nom de quelle sorte de doxa d’intello parisien peut on décréter que le public de Stadium est bourgeois, forcément bourgeois et qu’il en découlerait pour lui la nécessité de porter sur les réalités représentées un regard ethnologique coincé assorti d »un rire gêné.?