Dans Les Forteresses, Gurshad Shaheman invite sur scène trois femmes de sa famille. Aussi intimement que chaleureusement, il fait entendre leurs histoires qui ne peuvent laisser insensible.
L’artiste franco-iranien conçoit toujours le plateau de théâtre comme un lieu propice à faire entendre des histoires, qu’elles soient les siennes ou appartiennent à d’autres. Il les recueille, les entrelace, les porte avec soin et sincérité. Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, la création qu’il avait présentée au Festival d’Avignon en 2018 en est un éloquent exemple. On se souvient de l’émotion qui envahissait le public de festivaliers à l’écoute des récits poignants de jeunes migrants LGBT.
Acteur, auteur et metteur en scène, né en Iran en 1978 et arrivé en France à l’âge de 12 ans, Gurshad Shaheman ne semble pas savoir tricher. Comme dans sa trilogie autobiographique Pourama Pourama, ce qui touche de près ou de loin à sa propre existence est au centre du propos des Forteresses. Ce spectacle prend pour point de départ des entretiens au cours desquels le dramaturge a interrogé sa mère et ses tantes. Dans ce qu’il en restitue, il est toujours question d’amour et de danger, de déracinement, d’oppression et de contestation.
Les trois femmes sont toutes nées au début des années 1960 à Mianeh, au cœur de l’Azerbaïdjan iranien. Elles ont connu la révolution de 1979, l’espoir et la désillusion, la guerre avec l’Irak, la domination et la répression islamistes. Il est impossible de résumer sans trop réduire ce que raconte leurs témoignages tant la matière est complexe et copieuse. Ces pages de vies découpées en chapitres et traversées de violence intime et sociale disent aussi fièrement la force de leurs convictions, l’intransigeance de leur choix, leur soif de liberté, la nécessité avec laquelle elles cherchent à combattre les inégalités et l’antiprogressisme.
Gurshad Shaheman, qui donne toujours la primauté à la parole et à la présence, a choisi de dissocier le corps et la voix de ces trois femmes. Fortes de leurs élégantes présences, à la fois familières et cérémonieuses, elles occupent la scène qu’elles rendent particulièrement hospitalière. Sur le plateau réinventé en salon de thé ont été disposés de larges divans recouverts de tapis. On s’y installe et presque on s’y prélasse. L’espace atypique favorise une belle proximité entre les spectateurs et les performeurs, une écoute particulière, une empathie évidente. Assises sur des chaises disséminées, trois comédiennes (Guilda Chahverdi, Mina Kavani, Shady Nafar) prennent en charge avec souffle et précision leurs récits souvent empreints de gravité.
Trois heures durant, on reste suspendus aux mots. Ce qui se donne à entendre est parfois cru, terrible. Pour autant, Gurshad Shaheman ne cherche pas à alourdir le drame et c’est plus bouleversant encore. C’est donc sous les airs d’une fête consolante que se présente le spectacle. Se mêlent le théâtre, la musique, les chants et la danse de la manière la plus simple, sensible et généreuse qu’il puisse être.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les forteresses
Texte, mise en scène Gurshad ShahemanAvec Gurshad Shaheman, les femmes de sa famille et les voix de Guilda Chahverdi, Mina Kavani, Shady Nafar
Assistanat à la mise en scène Saeed Mirzaei
Création sonore Lucien Gaudion
Scénographie Mathieu Lorry-Dupuy
Lumière Jérémie Papin
Dramaturgie Youness Anzane
Régie générale Pierre-Éric Vives
Costumes Nina Langhammer
Régie plateau, accessoires Jérémy Meysen
Maquillage Sophie Allégatière
Coaching vocal Jean Fürst
Illustration couverture et 4ème de couverture Tarlan RafieeUn projet de la compagnie La Ligne d’Ombre
Production, diffusion Les Rencontres à l’échelle – B/P
Coproduction Les Rencontres à l’échelle – B/P, le phénix – scène nationale Valenciennes, TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, Pôle arts de la scène – Friche la Belle de Mai, CCAM Scène Nationale de Vandoeuvre, Le Carreau scène nationale de Forbach et de l’Est Mosellan, Le Théâtre d’Arles, scène conventionnée d’intérêt national art et création – nouvelles écritures, Maison de la Culture d’Amiens.
Accueil en résidence Le Manège Maubeuge, Les Rencontres à l’échelle – B/P structure résidente à la Friche la Belle de Mai, Les Tanneurs.
Avec le soutien de DRAC Hauts-de-France, Région Hauts-de-France, Fonds SACD Théâtre, Spedidam.
Ce projet a bénéficié de l’aide à l’écriture de l’association SACD-Beaumarchais (2019), et de l’aide à la création ARTCENA.
Édité aux éditions Les Solitaires Intempestifs en septembre 2021.
Remerciements Sophie Claret, Camille Louis, Judith Depaule, Aude Desigaux.
Durée : 3h
Théâtre de la Bastille – Paris
du 5 au 11 février 2024
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