Comme son titre l’indique, Les Femmes de Barbe-Bleue de Lisa Guez donne la parole aux épouses du monstre au cabinet bien rempli. Présentée dans le cadre de la 11ème édition du festival Impatience (6-18 décembre 2020), cette pièce co-écrite par cinq comédiennes de talent revisite le conte sous l’angle du désir féminin. De ses ambiguïtés.
La curiosité des épouses de Barbe-Bleue, qui malgré l’interdiction de celui-ci ouvrent toutes en son absence son cabinet, est communicative. En 1921 par exemple, Anatole France publiait un essai intitulé Les Sept Femmes de Barbe-Bleue et autres contes merveilleux. D’après des documents authentiques, l’auteur tentait de démêler le vrai du faux dans le conte de Charles Perrault qui, rappelait-il, « vers 1660, eut le mérite de composer la première biographie de ce seigneur justement remarquable pour avoir épousé sept femmes, et qui en fit un scélérat accompli et le plus parfait modèle de cruauté qu’il y eût au monde. Mais il est permis de douter, sinon de sa bonne foi, du moins de la sûreté de ses informations ». La curiosité n’est pas retombée depuis, au contraire. Peut-être réveillée par le mouvement #MeToo, elle a ces dernières années donné lieu à plusieurs créations théâtrales. Parmi lesquelles, Les Femmes de Barbe-Bleue mis en scène par Lisa Guez, en compétition du festival Impatience.
Comme Pierre-Yves Chapalain dans La Fiancée de Barbe-Bleue (2010) ou, plus récemment, Barbe-Bleue, espoir des femmes de Dea Loher, mis en scène par Nicolas Chelly et Thibaud Crevel, Lisa Guez donne la parole à celles dont le conte de Perrault ne dit rien. Elle met pour cela en scène non pas sept, mais cinq comédiennes. À commencer par Valentine Krasnochok, également dramaturge du spectacle, qui affirme d’emblée la distance que Les Femmes de Barbe-Bleue prennent avec leur modèle. Nulle mention de la laideur, ou de l’étrangeté du mari dans cette introduction : c’est dans le rôle d’une jeune mariée épanouie, en pleine fête organisée en l’absence de son cher et tendre, que la comédienne prend d’abord la parole. Sur le ton du témoignage davantage que du conte, elle raconte comment la fameuse clé aux singulières propriétés suscite sa curiosité. Et comment elle en vient, malgré elle, à s’en servir.
Cette découverte macabre est le moteur de la pièce : elle déclenche le récit de quatre autres femmes, incarnées par Valentine Bellone, Anne Knosp, Nelly Latour et Jordane Soudre, dont plusieurs ont déjà collaboré avec Lisa Guez, qui à la tête de Juste avant la compagnie fondée en 2009 a déjà signé bon nombre de créations. Nous ne poserons toutefois pas ici l’éternelle et délicate question de l’émergence – qui, pour la Ville de Paris, désigne des artistes et compagnies ayant créé au maximum cinq spectacles, sur une durée de cinq ans maximum. Car nous sommes bien contents d’avoir pu rencontrer au Jeune Théâtre National (JTN) les cinq interprètes et co-auteures des Femmes de Barbe-Bleue, qui revisitent chacune à leur tour la terrifiante histoire du tueur de dames.
Avec Anne Knosp pour présidente de séance – on apprendra à la fin que son personnage fut la première épouse du méchant barbu –, les quatre comédiennes restantes prennent la parole comme on le fait aux Alcooliques anonymes. Pour tenter de comprendre l’emprise exercée par celui qui les as tuées, et s’en libérer. Pour aborder le conte, Lisa Guez et ses acolytes ne choisissent pas la facilité : loin d’une réécriture féministe binaire, les artistes creusent les ambiguïtés à l’œuvre dans le conte de Perrault et dans toutes les légendes qui l’ont inspiré. Très différentes les unes des autres, aussi bien en matière d’écriture que de fond, leurs quatre fictions interrogent la part de désir qui cohabite avec la peur, parfois le dégoût. En plus de la trame Barbe-Bleue, autodérision et humour noir permettent aux artistes de se créer un riche terrain commun. Un lieu où les récits se croisent, se rencontrent. Où ensemble, humblement mais avec toute l’énergie de belles comédiennes, ils tentent d’éclairer un petit morceau du monde.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Les Femmes de Barbe-Bleue
Ecriture collective de plateau librement inspirée du conte
La Barbe-Bleue, de Charles PerraultMise en scène : Lisa Guez
Dramaturgie : Valentine Krasnochok
Assistanat à l’écriture et à la mise en scène :
Sarah DoukhanLumières : Lila Meynard
Avec : Valentine Bellone, Anne Knosp, Valentine
Krasnochok, Nelly Latour et Jordane SoudreProduction et diffusion : Clara Normand
Texte édité à La Librairie ThéâtraleDurée : 1h30
Le 104
29.01 > 06.02.2021
dans le cadre du festival Les Singulier.es
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