Au cœur des Consolantes, des témoignages sur les attentats du 13 novembre 2015 que le spectacle mêle à des figures tragiques. Un mélange audacieux et plutôt réussi qui ouvre des réflexions sur le rôle de l’Art dans le dépassement des traumatismes nationaux.
De plus en plus, les attentats du 13 novembre 2015 entrent dans le domaine de l’Art. En même temps que dans l’Histoire. Recul nécessaire pour que l’horreur du réel se transforme en une matière transfigurable. A notre connaissance, plusieurs tentatives au cinéma sous des angles et avec des bonheurs différents. Côté littérature, le magistral récit journalistique du procès mené par Emmanuel Carrère dans V13. Et maintenant au théâtre, ces Consolantes créées par Pauline Susini, quelques années après l’adaptation de Vous n’aurez pas ma haine d’Antoine Leiris.
Pour mener ce projet, Pauline Susini a collaboré avec l’IHTP (Institut d’Histoire du Temps Présent, CNRS) lancé dans une collecte de paroles autour des attentats menée dans une visée d’archivage historique. Elle a également assisté au procès des attentats qui s’est tenu il y a maintenant deux ans à Paris. Ce sont les paroles de rescapés et de proches des victimes des attentats qui irriguent donc ce spectacle. Des paroles qui racontent les événements tragiques mais aussi l’après, la reconstruction physique parfois, mais aussi mentale, le deuil, les commémorations, les procédures judiciaires, la réinsertion dans une vie dite normale etc…Des fragments que Pauline Susini colle bout à bout, sans ordre évident, par l’entremise de ses 4 interprètes qui endossent à la suite une trentaine de rôles.
De ces témoignages, Pauline Susini a retravaillé la matière, mêlant deux langues ensemble. Celle orale et quotidienne des témoins et celle plus lyrique et référencée des tragédies. On voit ici passer Orphée qui se retourne une dernière fois avant de quitter les Enfers du Bataclan, ou encore Charon, chirurgien obstiné qui fait passer ses malades d’une rive à l’autre de la vie. Le mélange fonctionne, fait quitter le pur documentaire pour laisser réfléchir sur les vertus réparatrices du théâtre, l’opportunité de faire œuvre pour mieux digérer les chaos de l’Histoire, et plus largement pour tenter de puiser dans notre patrimoine commun la faculté de s’écarter d’un réel horrifique, de mieux l’appréhender ou de le raconter autrement. En quelque sorte, pour interroger ce que l’Art peut faire à nos vies et à nos sociétés à travers cet épisode hors-normes.
Projet ambitieux bien sûr que Pauline Susini tient joliment, au moins toute une partie du spectacle. Le plateau est couvert de bâches blanches, évoquant un lieu en travaux, tout autant que la grande boîte édifiée pour le procès au cœur du Palais de Justice, ou encore un espace de commémoration religieuse avec son autel en forme de catafalque. Variété de lieux suggérés qui va s’étendre encore au gré des situations égrainées, une jeune femme racontant son amour pour Paris, la dispute d’un couple meurtri par la perte d’un enfant pour commencer. Avant, pendant, après, Pauline Susini passe sur l’horreur des attentats en eux-mêmes pour mieux laisser se déployer une parole pleine de la vitalité de celleux qui la portent. Pas de pathos mais plutôt la formation d’une parole commune, l’esquisse d’une mise en récit baignée de mythologie qui ne tourne pas le dos à la tragédie mais en reconstruit une autre. C’est pendant une heure le fil que l’on suit.
Avant de partir un peu ailleurs, dans des directions plus inattendues et peut-être moins heureuses. La critique des rigidités d’une administration qui tente d’évaluer les réparations financières, le discours médiatique sur les héros, le manque d’empathie du corps médical ou encore la tristesse des commémorations qui ne fait pas honneur à la vitalité de celleux qui sont mort.e.s. Le déploiement de toute une dimension satirique dissone alors quelque peu, un trop-plein de musiques succède à un subtil travail du son, puis le spectacle paraît se recentrer et la belle mise en scène retrouve ses qualités. Un orage où l’on entendrait presque Zeus, puis, pour finir, un jardin parisien que l’on confondrait volontiers avec les Champs-Elysées. Le retour du pari de faire entendre un maelström de paroles qui, d’être ainsi portées et transfigurées, distillent un récit et produisent de nouvelles images permettant d’ouvrir sur un après.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Les Consolantes
Texte et mise en scène Pauline Susini
Avec Noémie Develay-Ressiguier, Sébastien Desjours, Sol Espèche, Nicolas Giret-Famin
Assistante mise en scène Florence Albaret
Chorégraphe Jeanne Alechinsky
Scénographie Camille Duchemin
Costumes Clara Hubert
Création lumière César Godefroy
Création sonore Loic Le Roux
Régie générale Camille Faye
Production Compagnie Les Vingtièmes Rugissants.
Coproduction La Garance – Scène Nationale de Cavaillon ; l’ECAM (Kremlin-Bicêtre) ; le Maif Social Club (Paris) ; L’Étoile du Nord (Paris). Avec le soutien de La Chartreuse – Centre National des Écritures du Spectacle, Anis Gras Le lieu de l’autre (Arcueil), Nouveau Gare au Théâtre fabrique d’arts (Vitry-sur Seine) et Lilas en Scène Espace de création pour le spectacle vivant.
Projet aidé par le LABEX (Laboratoire de recherche) et l’IHTP (Institut d’Histoire du Temps Présent).
Avec l’aide du ministère de la Culture – Drac Île-de-France, au titre de l’aide à la création
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national.
Ce spectacle contient des séquences de flashs lumineux / des effets stroboscopiques qui peuvent affecter certain·es spectateur.ricesdurée 1h45
Garance Scène Nationale de Cavaillon
11 janvier 2024Théâtre 13 – bibliothèque – Paris
du 29 janvier au 8 février 2024
Du lundi au vendredi à 20h, le samedi à 18h
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !