La dernière création en terres japonaises de la patronne du Théâtre du Soleil souffre d’une dramaturgie décousue et d’un propos naïf et manichéen que son habile féérie scénique peine à soutenir.
Pour Ariane Mnouchkine, la pérégrination en territoire nippon a des airs de retour aux sources. « En 1963, en jeune passagère avide de découvertes, elle embarque vers l’Est où l’attend un voyage fondateur, dit la légende. Au pays du Soleil-Levant, elle s’émerveille d’un art théâtral d’une simplicité originelle et d’une sophistication formelle extraordinaire. Dans cet archipel où l’existence quotidienne est sans cesse rehaussée en symboles, le théâtre est partout. Les métaphores, la beauté, le langage du corps, tout ici évoque, prédit, incite à penser et déchiffrer. » Près de cinquante plus tard, auréolée du Kyoto Prize – qui récompense l’œuvre, mais aussi « la contribution à la société humaine » d’une personnalité – et après un détour récent par l’Inde, la voilà qui y revient, au Japon donc, mais également à ce motif insulaire qui avait fait le succès, notamment, des Naufragés du Fol Espoir, tel un refuge où toutes les utopies seraient possibles, un laboratoire où la société pourrait panser ses plaies et guérir de ces maux qui l’accablent.
Née dans l’esprit de Cornélia, une femme que la maladie – le Covid-19 ? – cloue au lit et pousse au délire, l’Île d’Or, connue sous le nom de Kanemu-Jima, est faite de ce bois là. Havre de paix qui paraît échapper aux tumultes du monde, elle est dirigée par Yamamura Mayumi qui se prépare, en tant que maire, à mettre sur pied un festival hors du commun où seraient accueillis des artistes venus des quatre coins de la planète. Dans le hangar qu’elle compte utiliser pour l’occasion, se croiseraient alors la troupe Notre-Dame du Théâtre Socialiste Brésilien, la troupe afghane en exil La Diaspora des Abricots, la troupe municipale des Lanternes Démocratiques, les sociétaires proche-orientaux du Grand Théâtre de la Paix ou encore la troupe hongkongaise La Démocratie, Notre Désir. Exception faite de la troupe française Paradise Today, proche de l’esthétique du Living Theatre, toutes ont en commun d’être originaires de zones troubles, où les conflits font rage, où la démocratie est en danger, et ont à coeur de se servir de leur art pour dénoncer les exactions et promouvoir la réconciliation. Sauf que, sur Kanemu-Jima, tout le monde ne voit pas ce festival d’un bon œil. En sous-main, agit un trio d’opposants, bien décidés à torpiller la manifestation afin de ravir la mairie aux prochaines élections et de mettre en place un autre projet : installer un casino sur cette île préservée avec l’aide d’investisseurs étrangers.
Fable politique qui prend ses racines dans le présent, où il est tout aussi bien question, directement ou à demi-mot, du confinement que des manifestations à Hong-Kong, de Trump que de Bolsonaro, de l’échappée folle de Carlos Ghosn que des exactions du régime chinois, du conflit israélo-palestinien que des visios organisées avec les résidents des Ehpad, cette création collective du Théâtre du Soleil, bâtie, comme le veut désormais la tradition, « en harmonie avec » Hélène Cixous, pêche, à la fois, par naïveté et par manichéisme. Sur cette Île d’Or, les gentils affrontent les méchants, les bons les mauvais, et l’art doit se battre, lui aussi, pour survivre face aux puissances de l’argent galopantes et menaçantes. Aussi juste soit-il, le constat donne lieu à une traduction textuelle caricaturale – y compris dans sa forme où la langue française prend maladroitement, et de façon appuyée, une tournure de phrase inversée à la japonaise –, superficielle – selon l’adage bien connu « qui trop embrasse mal étreint » – et insatisfaisante dans les perspectives, quasi enfantines, qu’elle ouvre. Surtout, à l’avenant de ce saupoudrage, la pièce souffre d’une dramaturgie décousue qui en complique la réception, jusqu’à se perdre, parfois, dans certaines scènes alors que l’histoire n’a rien d’un dédale kafkaïen ou dostoïevskien.
Reste, malgré tout, cette féérie scénique qu’Ariane Mnouchkine parvient, une nouvelle fois, à orchestrer d’une main de maître. Succession de tableaux, dont le souffle offre au spectacle un rythme naturel, cette galerie d’images ravit souvent, émerveille parfois, par sa minutie et par ses trouvailles – les scènes de l’hélicoptère ou de la réconciliation finale. Tout dans l’esthétique de cette Île d’Or est soigneusement référencé, patiemment travaillé, jusque dans les moindres détails, costumes et accessoires. En metteuse en scène perfectionniste, la patronne du Théâtre du Soleil ne laisse rien au hasard, y compris la direction de sa troupe. Comme toujours hétéroclite, soutenue par la belle composition musicale de Jean-Jacques Lemêtre, elle est mue par une énergie et une envie de jouer qui permettent à l’ensemble, à quelques rares occasions et en dépit des visages masqués à la japonaise, de se montrer émouvant, voire touchant. On ne peut alors que regretter que cette somme de travail, qu’on imagine colossale, ne soit pas mise au service d’un texte plus substantiel, capable de transformer cette Île d’Or en île aux merveilles.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
L’Île d’Or (Kanemu-Jima)
Une création collective du Théâtre du Soleil, en harmonie avec Hélène Cixous
Mise en scène et scénographie Ariane Mnouchkine
Musique Jean-Jacques Lemêtre
Avec Sayed Ahmad Hashimi, Taher Akbar Baig, Duccio Bellugi-Vannuccini, Shaghayegh Beheshti, Georges Bigot, Aline Borsari, M.W. Brottet, Sébastien Brottet-Michel, Juliana Carneiro da Cunha, Hélène Cinque, Marie-Jasmine Cocito, Eve Doe Bruce, Maurice Durozier, Farid Gul Ahmad, Samir Abdul Jabbar Saed, Martial Jacques, Dominique Jambert, Judit Jancsó, Shafiq Kohi, Agustin Letelier, Vincent Mangado, Andréa Marchant, Julia Marini, Alice Milléquant, Nirupama Nityanandan, Miguel Nogueira, Seietsu Onochi, Reza Rajabi, Omid Rawendah, Xevi Ribas, Arman Saribekyan, Thérèse Spirli, Mio Teycheney-Takashiro, et les musiciens Jean-Jacques Lemêtre, assisté de Marie-Jasmine Cocito en alternance avec Clémence Fougea, et Ya-Hui Liang
Lumières Virginie Le Coënt, Lila Meynard
Vidéo Diane Hequet
Marionnettes Erhard Stiefel, avec l’aide de Simona Grassano
Costumes Marie-Hélène Bouvet, Nathalie Thomas, Annie Tran, avec l’aide de Haroon Amani
Perruques et coiffures Jean-Sébastien Merle
Accessoires Xevi Ribas, assisté par Luca Botté-Luce et Cécile Carbonel
Sons Thérèse SpirliCoproduction Théâtre du Soleil, TNP, Maison de la Culture d’Amiens-Pôle européen de création
Avec le soutien de Park Avenue Armory (New-York)Le Théâtre du Soleil est soutenu par le ministère de la Culture, la Région Île-de-France et la Ville de Paris.
Durée : 3h20 (entracte compris)
Théâtre du Soleil, Paris
à partir du 3 novembre 2021TNP de Villeurbanne
du 9 au 26 juin 2022
Dommage, pas le temps d’aller voir ça à Paris mais ça donne envie…
Bonjour, je ne parviens pas à réserver pour l’Ile d’Or. Pourriez-vous me guider ? Merci.
Bonjour Yvette. Vous pouvez soit passer directement par le standard téléphonique du Théâtre du Soleil (01 43 74 24 08), soit par le site de la Fnac (https://www.fnacspectacles.com/place-spectacle/ticket-evenement/theatre-contemporain-l-ile-d-or-mansolor-lt.htm) ou par Théâtre Online (https://www.theatreonline.com/Spectacle/L-ile-d-or/74188). Bonne journée.
Formidable et féérique spectacle. J’espère que nous pourrons encore profiter longtemps du talent d’Ariane Mnouchkine.
C’est bien joué, bien mis en scène MAIS…
c’est décousu, incohérent, sans intention claire.