Après ses passionnants En route kaddish et Doreen, David Geselson mêle une nouvelle fois réalité et fiction au service d’une figure du passé : celle de Nina Simone. Porté par une distribution européano-américaine, Le Silence et la peur convoque hélas l’Histoire d’une manière trop didactique et moraliste pour faire du grand théâtre.
La figure de Nina Simone (1903-2003), chanteuse et militante pour les droits civiques des Afro-américains, a laissé une trace forte non seulement aux États-Unis, mais aussi en Europe. En France notamment, où elle a passé sa dernière année dans une solitude presque totale. Pour preuve, ses nombreuses apparitions ces temps-ci sur nos scènes, sous des formes diverses. Dans le seul en scène de David Lescot par exemple, Portrait de Ludmilla en Nina Simone, où la comédienne Ludmilla Dabo raconte et chante sa Nina Simone. Dans le spectacle musical J’aurais aimé savoir ce que ça fait d’être libre de la chanteuse, comédienne et musicienne Chloé Lacan, mis en scène par Nelson-Rafaell Madel – au Théâtre de Belleville du 3 au 31 mars 2020 –, et dans Le Silence et la peur, la nouvelle création de David Geselson. Celle des trois qui, bien que s’en défende son auteur et metteur en scène, s’approche le plus d’un biopic.
« Les documents, l’Histoire, sont la base de ce qui constitue notre projet. Mais c’est bien une fiction que nous donnerons à voir. Une fiction construite à partir de faits historiques réels. Je renoue là avec l’un des processus qui avaient guidé l’écriture d’En route-Kaddish », explique-t-il. La comparaison avec ce premier spectacle créé en 2014 était prometteuse. Dialogue fictif entre David Geselson et son grand-père juif parti en Palestine dans les années 1930, construit grâce à des documents d’archives et autres matériaux, cette pièce questionnait subtilement l’état du monde à travers le prisme de la petite histoire. Tandis que dans Doreen (2016), sa pièce suivante, l’auteur, comédien et metteur en scène abordait le philosophe et militant André Gorz à partir de son intimité. En imaginant ce que furent ses derniers moments avec l’amour de sa vie, Dorine Keir, à qui il consacrait son dernier livre, le bouleversant Lettre à D.
Pour la première fois dans Le Silence et la peur, David Geselson n’est pas présent sur scène. Ce qu’explique l’ampleur de la pièce, qui réunit deux comédiens français et trois comédiens afro-américains et traverse toute la vie de Nina Simone – Eunice Waymon de son vrai nom –, depuis son enfance à Tryon en Caroline jusqu’à sa mort. Née sans doute d’une belle intention, d’un grand respect pour l’artiste portraitisée et d’un désir de rendre pleinement hommage à son talent autant qu’à son engagement, cette ambition empêche David Geselson d’atteindre à la réussite de ses deux spectacles précédents. À tout vouloir dire de Nina Simone, à tout vouloir expliquer de sa manière dont, dit-il, « sa vie est chevillée à l’Histoire », il échoue en dresser un portrait sensible.
Parti-pris central de la pièce, sa distribution mixte aurait pu donner lieu à un récit et à une esthétique singulière, fondée sur un contraste, voire une confrontation. La construction fragmentaire du récit, où se mêlent des bribes d’enfance de Nina Simone à des moments de sa vie d’adulte, ne suffit hélas pas à créer cette singularité. Pas plus que la cohabitation des langues française et anglaise. Dans le rôle du couple Mazzanovich – Muriel fut la professeure de piano de Nina Simone, et un précieux soutien tout au long de sa carrière –, Laure Mathis et Elios Noël sont les représentants d’un Occident plus ou moins repentant de son passé colonial. Tandis que Dee Beasnael dans le rôle principal, Craig Blake dans ceux de l’époux violent Andy et du premier amour Edney, et Kim Sullivan dans la peau du père sont les victimes plus ou moins révoltées des premiers. En choisissant de faire cette relation entre les deux groupes comme fil directeur de sa pièce, David Geselson demeure la plupart du temps dans le cadre de la biographie. Comme si la célébrité de Nina Simone avait empêché de s’exprimer son désir de fiction, sa subjectivité que l’on espérait retrouver.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Le Silence et la peur
Texte et mise en scène : David Geselson
Interprétation : Dee Beasnael, Craig Blake, Laure Mathis, Élios Noël, Kim Sullivan
Scénographie : Lisa Navarro assistée de Margaux Nessi
Création lumière : Jérémie Papin assisté de Marine Le Vey
Création vidéo : Jérémie Scheidler assisté de Marina Masquelier
Création son : Loïc Le Roux
Costumes : Benjamin Moreau
Assistante à la mise en scène : Shady Nafar
Régie générale : Sylvain Tardy
Collaboration à la mise en scène : Dee Beasnael, Craig Blake, Loïc Le Roux, Laure Mathis, Benjamin Moreau, Lisa Navarro, Elios Noël, Jérémie Papin, Jérémie Scheidler, Kim Sullivan
Traduction : Nicholas Elliott et Jennifer Gay
Construction décors : Atelier décor du ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie
Réalisation costumes : Sophie Manac’h
Administration, production, diffusion, relations presse : AlterMachine I Noura Sairour, Carole Willemot et Marine Mussillon
Relations presse : Irène Gordon-Brassart
Régie générale de tournée, surtitrage : Ludovic Bouaud
Régie lumière : Rosemonde Arrambourg en alternance avec Marine Le Vey
Régie vidéo : Jérémie Scheidler
Régie son : Loïc Le Roux
Production : Compagnie Lieux-Dits
Coproduction : Théâtre de Lorient, centre dramatique national, Le Canal – Théâtre du Pays de Redon, Théâtre National de Bretagne – Rennes, ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie, Théâtre d’Arles, Scène conventionnée d’intérêt national – art et création, Théâtre de la Bastille, Espaces Pluriels, Scène conventionnée danse – Pau, L’empreinte scène nationale Brive/Tulle, Théâtre Le Rayon Vert, Scène conventionnée d’intérêt national – art en territoire de Saint-Valéry-en-Caux, Le Gallia Théâtre, scène conventionnée d’intérêt national – art et création de Saintes, La Comédie – Centre Dramatique National de Reims, Théâtre des Quatre saisons, Gradignan, Théâtre de Choisy-le-Roi – Scène conventionnée d’Intérêt national – Art et création pour la diversité linguistique, en coopération avec PANTHEA, La Rose des Vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq, CDN Besançon Franche-Comté, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines Scène nationale, Teatro Nacional Dona Maria II, Lisbonne, Portugal aide au projet Ministère de la Culture, de la Région Ile-de-France, de la Spedidam, de l’Institut français dans le cadre de son programme Théâtre Export, de FACE Foundation Contemporary Theater, de la Harlem Stage – New York – Etats–Unis soutien Théâtre Ouvert – Centre national des Dramaturgies Contemporaines, La Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon – centre national des écritures du spectacle, Théâtre de l’Aquarium accueil en résidence CDN de Normandie-Rouen
La compagnie Lieux-Dits est conventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Ile-de-France
Durée : 2h
Vu à la Comédie de Reims, dans le cadre du festival FARaway
Le Rayon Vert, Saint-Valery-en-Caux
Le 7 février 2020Théâtre d’Arles
Les 11 et 12 février 2020Espace Pluriels, Pau
Les 18 et 19 février 2020Théâtre de Chelles
Le 25 février 2020Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN en partenariat avec le Théâtre Paul Eluard de
Choisy-le-Roi
Du 27 février au 8 mars 2020L’Agora – Boulazac
Le 10 mars 2020Le Moulin du Roc, Niort
Les 13 et 14 mars 2020Le Gallia Théâtre, Saintes
Le 17 mars 2020L’Empreinte, scène nationale de Brive – Tulle
Le 23 mars 2020ThéâtredelaCité, Toulouse
Du 25 au 31 mars 2020Théâtre de la Bastille, Paris
Du 20 au 29 avril 2020La Rose des Vents, Villeneuve d’Ascq
Les 5 et 6 mai 2020NEST, CDN de Thionville
Du 12 au 14 mai 2020
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