Huit spectacles à son actif, une esthétique reconnaissable entre mille, la reprise de son Makbeth au Rond-Point qui affiche complet, le Munstrum Théâtre a imposé depuis une dizaine d’années sa poésie du pire, son attrait pour les sujets anxiogènes et la farce, son goût pour les grands écarts et les métamorphoses. Derrière les masques, la catharsis, derrière le rire, l’horreur, derrière la trivialité, la beauté, et derrière le Munstrum, Louis Arene et Lionel Lingelser, bien entourés.
On les rencontre à la veille de la reprise de leur Makbeth grand-guignol et féroce au Théâtre du Rond-Point. Louis Arene et Lionel Lingelser, à la tête du Munstrum Théâtre, se disent impatients de retrouver le public parisien, un public fidèle qui « a soif », mais préoccupés par l’état de leurs corps, au vu de l’engagement physique intensif que demande chaque représentation. Ils ne dérogent jamais à une routine physique et vocale sérieuse qui nécessite leur présence au plateau quatre heures avant le début du spectacle. Un rituel d’échauffement à base de yoga et de chant qui vise à les mettre en condition aussi bien qu’à les rassembler. Ce véritable moment de communion reflète le plaisir qu’ils ont à se retrouver et à travailler ensemble. Que ce soit au niveau artistique, technique ou de la production, l’esprit de famille fait partie de leur ADN, au-delà même de l’amitié qui les lie. « Le Munstrum est une histoire collective qui fonctionne à l’horizontale avec une hiérarchie consentie », explique Louis Arene. « On fait équipe, comme des sportifs, ajoute Lionel Lingelser. On a un bon instinct pour bien s’entourer ». Élément central de leurs créations survoltées, le corps y est le plus souvent augmenté de prothèses et de masques, de maquillages expressifs, nez de clown, costumes extravagants et accessoires improbables auxquels se greffe un jeu extrêmement physique, voire acrobatique, qui participe de leur esthétique de l’outrance où chaque situation est poussée à l’extrême. « Pour nous, le corps est vecteur d’émotion et de vitalité », détaille Lionel Lingelser, tandis que Louis Arene poursuit : « On cherche à convoquer une énergie vitale bien souvent malmenée dans notre quotidien ». Et le premier de rebondir : « C’est aussi lié à l’enfance et à la joie, à l’innocence et à l’optimisme. Avec le masque, tout est possible. Il nous incite à pousser les curseurs et à nous dépasser ».
Mais leur engagement physique, et c’est là leur singularité, n’exclut pas l’envie profonde de se mesurer aux grands textes. Les deux artistes se souviennent de leurs cours au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, dans les classes d’Alain Françon et de Dominique Valadié, qui leur ont transmis l’amour du verbe, la méticulosité dans le rapport à la langue. Forts d’un savoir-faire patiemment acquis en compagnie, le binôme a éprouvé le besoin de confronter son expérience à une œuvre monstre du répertoire dramatique. Macbeth, pièce réputée maudite et immontable, s’est imposée à eux, à leur désir de grands mythes, d’embrasser la noirceur et la tragédie, et de renouer par la même occasion avec le théâtre élisabéthain. Toujours dans le décalage et le contrepoint, ils traquent la lumière au cœur des ténèbres, la comédie qui enraye la fatalité du drame. Le masque est leur outil de prédilection, leur allié dans le dynamitage des genres, des codes et des normes. Inventé et conçu par Louis Arene, ce prototype épuré à l’extrême, aux airs de seconde peau, devient la surface de projection des spectateur·rices, leur « page blanche » à eux, utilisé aussi bien dans leurs créations originales (Zypher Z) que dans les classiques, que ce soit chez Molière (Le Mariage Forcé) ou Copi (40° sous zéro), ou dans le répertoire contemporain, chez Marius von Mayenburg (Le Chien, la nuit et le couteau).
Un projet en 2027 à l’Opéra-Comique
Pour Lionel Lingelser et Louis Arene, créer le Munstrum en 2012 répondait au besoin vital d’avoir leur propre laboratoire de recherche scénique, un espace de liberté totale où se reposer les questions essentielles et cultiver la joie autant que leur imaginaire no limit en confrontation avec les grands textes. Chaque création en amène une autre et s’ils continuent à tourner les spectacles de la compagnie et prévoient même de reprendre au printemps 2027, soit dix ans après, Le Chien, la nuit et le couteau créé en 2017, le prochain projet auquel ils s’attèlent d’ores et déjà est aussi ambitieux qu’inédit, avec partition musicale et livret d’opéra originaux. La création est prévue en 2027 à l’Opéra-Comique et ce nouveau registre musical, dans cet art vivant total qui est le leur, où corps, texte, images et matières cohabitent dans un foisonnant maelstrom, constitue une étape supplémentaire dans leur exploration esthétique et dramaturgique. « Nous avons envie de ce pas de côté, de confronter notre univers à un monde plus éloigné du nôtre, à un autre public, à d’autres manières de faire et d’autres contraintes aussi », confie Lionel Lingelser.
À les écouter s’exprimer, volubiles et généreux, dans une alternance harmonieuse et une complémentarité fascinante, on repense à leur réjouissant couple shakespearien et l’on se dit que, s’ils prennent un malin plaisir à camper sur scène des créatures cruelles et sanguinaires, à être des affreux, sales et méchants de la plus belle espèce, dans la vie, c’est leur énergie solaire qui s’impose, et la foi dans cet art aussi archaïque qu’avant-gardiste qui fait leur identité si spécifique.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Makbeth
Théâtre du Rond-Point, Paris
du 20 novembre au 13 décembre 2025Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan
les 5 et 6 mars 2026MC2 : Scène nationale de Grenoble
les 11 et 12 mars
Le Mariage forcé
L’Azimut – Théâtre la Piscine, Châtenay-Malabry
les 26 et 27 novembreLa Comète, Scène nationale de Châlons-en-Champagne
les 5 et 6 décembreThéâtre de Rungis
le 12 décembre

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