Après Ludwig, un roi sur la lune, la directrice de l’atelier Catalyse revient au Festival d’Avignon avec Le Grand Théâtre d’Oklahama. Plongée dans l’univers sombre et complexe de Kafka, cette proposition, moins limpide et poétique que la précédente, offre malgré tout un écrin théâtral exigeant à sa troupe de comédiens en situation de handicap mental.
Aux portes du Grand Théâtre d’Oklahama, patiente une petite foule curieuse. Cirque d’horreur délabré plutôt qu’institution culturelle paradisiaque, le lieu n’a rien de très attrayant, mais il représente pour cette troupe de marginaux l’espoir d’un eldorado où ils pourraient enfin être acceptés pour ce qu’ils sont. Parmi eux, se tient Karl Rossmann. Le jeune homme est l’anti-héros de L’Amérique, le roman inachevé de Franz Kafka. Immigré qui croit aux promesses qui lui sont faites, il arrive au terme de sa longue déchéance sociale. Le Grand Théâtre d’Oklahama est l’ultime chapitre de son histoire, le terminus d’une vie qui n’aura été pour lui qu’une immense constellation de rejets.
Pour l’accompagner dans l’aventure qui s’annonce, Madeleine Louarn et Jean-François Auguste lui ont trouvé des compagnons de route qu’ils sont allés piocher dans d’autres œuvres de l’écrivain pragois. Il y a Rougeaud, ce signe humanisé devenu artiste et impresario, construit à partir du personnage de Rapport pour une académie et du narrateur d’Un Artiste du jeûne ; ou encore Joséfine, la souris cantatrice, directement inspirée de la dernière nouvelle publiée par Kafka. Tous veulent intégrer le Grand Théâtre d’Oklahama pour révéler leur âme d’artiste. Mais, sous ses dehors bienveillants, le lieu n’est, en réalité, qu’une sombre image de la société. Aspirants comédiens, ils se retrouvent embauchés comme hôtesse, lingère, soutier, liftier ou agent technique, et sont une énième fois victimes des instruments de domination sociale qui gangrènent le monde.
Face à ce triste constat, le théâtre de Madeleine Louarn agit comme un remède. Depuis trente ans, la metteuse en scène dirige les comédiens en situation de handicap mental de l’atelier Catalyse, abrité par l’Etablissement et service d’aide par le travail (Esat) de Morlaix. A travers les univers de Lewis Caroll ou Frédéric Vossier, par exemple, elle leur offre, à chaque fois, un écrin théâtral de haute volée qu’elle avait déjà pu faire découvrir au public avignonnais en 2016 avec Ludwig, un roi sur la lune. Univers kafkaïen oblige, Le Grand Théâtre d’Oklahama est moins poétique et onirique, plus confus et rotors aussi pour cette troupe si particulière, mais il n’en reste pas moins une performance théâtrale hors norme.
Mémorable Ludwig, Guillaume Drouadaine incarne cette fois un Karl Rossmann plein d’aplomb qui donne le change, avec aisance, à Christelle Podeur, facétieuse cantatrice. Tous les comédiens n’ont pas les facilités scéniques de ce duo, mais chacun joue avec un engagement, une générosité et un plaisir rares, y compris dans les moments textuels plus délicats. Car, aussi adaptée soit-elle, la proposition scénique de Madeleine Louarn ne cède pas un millimètre sur le terrain de l’exigence. Histoire de pouvoir la faire rimer, avec panache, avec le mot différence.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Grand Théâtre d’Oklahama
Avec Tristan Cantin, Manon Carpentier, Guillaume Drouadaine, Christian Lizet, Christelle Podeur, Jean-Claude Pouliquen, Sylvain RobicTexte librement inspiré des oeuvres de Franz Kafka
Mise en scène Madeleine Louarn, Jean-François Auguste
Chorégraphie Agnieszka Ryszkiewicz
Dramaturgie Pierre Chevallier
Musique Julien Perraudeau
Scénographie Hélène Delprat
Lumière Mana Gautier
Costumes Claire RaisonProduction Théâtre de l’Entresort, For Happy people and co
Coproduction MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny, Le Quartz Scène nationale de Brest, MC2 : Scène nationale de Grenoble, CDN Besançon Franche-Comté, Théâtre national de Bretagne, Festival d’Avignon, Théâtre du Pays de Morlaix, L’Esat des Genêts d’Or
Avec le soutien de l’Adami pour la 72e édition du Festival d’Avignon
Avec la participation du Jeune Théâtre National
Durée : 1h1572e édition du Festival d’Avignon
Du 7 au 12 juillet à 15h sauf le 9
L’Autre Scène du Grand Avignon – VedèneThéâtre national de Bretagne, Rennes
Du 4 au 11 octobreMC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
Du 31 janvier au 8 février 2019La Ferme du Buisson, Noisiel
Le 13 févrierLe Quartz, Scène nationale de Brest
Les 20 et 21 mars
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