Programmées à l’occasion du Festival de l’Opéra de Lyon, la nouvelle production de 7 minutes de Giorgio Battistelli, mise en scène par Pauline Bayle, et la création de L’Avenir nous le dira de Diana Soh, pilotée par Alice Laloy, font entendre un ambitieux et nécessaire chant de lutte politique et existentielle qui n’atteint pas forcément son but.
Elles sont travailleuses chez Picard & Roche, ouvrières ou employées textiles appartenant au comité d’usine, dans l’attente fébrile du retour de la représentante du personnel bloquée depuis trois heures dans les négociations avec la direction. « Les cravates », comme elles appellent leurs nouveaux patrons, doivent apporter leur réponse face à la menace de fermeture de l’entreprise et de licenciements massifs. Éternellement enfermées entre les murs bleu gris bétonnés de la fabrique, où deux vide-ordures expulsent des résidus qui s’amoncellent en tas, ces femmes paraissent, dans la mise en scène de Pauline Bayle, d’abord en ligne en train de tisser une large banderole sur laquelle est inscrit « Coudre pour en découdre », puis les visages projetés en gros plan sur le mur, la bouche symboliquement cousue, muselée. Quand Blanche, leur porte-parole, annonce qu’aucun emploi n’est menacé, l’inquiétude laisse place au soulagement. Mais la sauvegarde des postes n’est promise qu’à la condition perfide que chacune accepte de céder en échange sept minutes de son temps de pause journalière. Une telle réclamation pourrait passer pour insignifiante, mais elle suscite un juste et houleux débat allant jusqu’à l’affrontement violent.
Inspirée par la lutte qu’ont menée en 2012 les ouvrières de l’usine de lingerie Lejaby, la pièce de Stefano Massini, 7 minutes, écrite deux ans plus tard, a connu un succès tel qu’elle a été programmée à la Comédie-Française, dans une mise en scène de Maëlle Poésy, où l’usage d’un dispositif bifrontal symbolisait l’étau fatal qui se refermait sur les protagonistes, puis adaptée au cinéma, par le réalisateur Michele Placido, comme à l’opéra. Giorgio Battistelli a assuré la composition de l’œuvre créée en 2019 à l’Opéra de Lorraine. En dépit de la sécheresse de l’écriture vocale un peu rêche, on y entend comme un hiatus entre le propos sous haute tension et la musique peu véhémente, parfois dénervée, qui, même émaillée de quelques coups de gong et de graves grondements, paraît presque trop sage pour soutenir la colère et l’insurrection qui sont les moteurs de la situation.
Tout au long d’une représentation qui souffre de longueurs, les interprètes, exclusivement féminines, sont remarquables d’engagement, de justesse et de conviction. Si, dans un jeu qui oscille entre incarnation et déréalisation à l’occasion de moments dansés suspendus, elles parviennent à rendre compte de ce qui fait la singularité et l’étoffe des figures qu’elles endossent – chacune se distingue par son âge, son histoire, sa culture, son origine, son expérience de vie –, la partition relativement impersonnelle donne l’impression de ne pas assez véritablement creuser les individualités. Autre difficulté notable : la musique ralentit, voire fait stagner considérablement le débit comme la force de frappe d’un discours qui, au théâtre bien plus qu’à l’opéra, se présente comme une joute verbale plus nerveuse et efficace.
La rythmique saillante de L’Avenir nous le dira
Dans le cadre plus récréatif d’une vaste aire de jeu avec plateformes surélevées et grands toboggans, une bardée de mioches méditent eux aussi, et à leur manière, sur l’avenir et le temps dans L’Avenir nous le dira de Diana Soh. Ce tohu-bohu assez réjouissant laisse transparaître une inquiétude face à la déréliction du monde contemporain, conjurée par le jeu, l’énergie et la légèreté propres au monde de l’enfance. Une insolite poésie éclatée se dégage d’une partition à la fois musicale, textuelle et scénique faite de mots et de sons épars, incongrus, parfois juste composée d’onomatopées, de jeux de paronomase et de polysémie – par exemple, « J’ai l’orage de vivre / de dire ».
Précisément orchestrée par Louis Gal et Clément Brun, alternativement à la direction musicale, et par Alice Laloy à la mise en scène, la pièce a réclamé un travail sur deux années. Elle mêle les voix de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon au bruitisme d’un orchestre mécanique composé de machines actionnées compilant plaques rotatives, feuilles de métal, systèmes de pompes, bâtons de pluie géants, cymbales, cloches tubulaires, crotales et crécelles. Sifflements, frottements et raclements forment un environnement sonore qui peut sembler rébarbatif, mais qui intrigue à mesure que s’emballe sa rythmique saillante. Ce grand rituel ludique et oraculaire donné sur le plateau du TNP de Villeurbanne (avant de rejoindre celui de l’Opéra national de Lorraine les 4 et 5 avril prochains), comme la lutte ouvrière qui prend, en parallèle, son essor sur la scène de l’Opéra de Lyon, témoignent alors, chacun à leur manière, de la puissance du groupe. Corps, voix et esprits s’offrent comme une force de lucidité et de contestation collégiales pour penser le futur.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
7 minutes
de Giorgio Battistelli, d’après 7 Minuti de Stefano Massini
Direction musicale Miguel Pérez Iñesta
Mise en scène Pauline Bayle
Avec Natascha Petrinsky, Jenny Daviet, Nicola Beller Carbone, Shakèd Bar en alternance avec Eleonora Vacchi, Giulia Scopelliti, Eva Langeland Gjerde, Jenny Anne Flory, Elisabeth Boudreault, Lara Lagni, Anne-Marie Stanley, Sophia Burgos, Lisetta Buccellato
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon
Scénographie Lisetta Buccellato
Costumes Pétronille Salomé
Vidéo Pierre Martin Oriol
Chorégraphie Agnès Butet
Lumières Mathilde Chamoux
Chef des Chœurs Benedict KearnsProduction Opéra de Lyon
Cet opéra s’inscrit dans le programme Lyon / Ville créative littérature UNESCO.
Durée : 2h10
Opéra de Lyon, dans le cadre du Festival de l’Opéra de Lyon
du 15 au 29 mars 2025
L’Avenir nous le dira
de Diana Soh
Librettiste Emmanuelle Destremau
Direction musicale Louis Gal en alternance avec Clément Brun
Conception et mise en scène Alice Laloy
Avec la Maîtrise de l’Opéra de Lyon
Scénographie et accessoires musicaux Jane Joyet
Costumes Maya-Lune Thiéblemont
Lumières César Godefroy
Chorégraphie Cécile Laloy
Prototypage des accessoires musicaux Benjamin HautinCoproduction Opéra de Lyon, Opéra national de Lorraine
Coréalisation Opéra de Lyon, Théâtre National PopulaireCet opéra s’inscrit dans le programme Lyon/Ville créative littérature UNESCO.
Durée : 1h
Théâtre National Populaire, Villeurbanne, dans le cadre du Festival de l’Opéra de Lyon
du 15 au 25 mars 2025Opéra national de Lorraine, Nancy
les 4 et 5 avril
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