Proposition artistique absolument antithéâtrale et néanmoins captivante, L’Aventure invisible de Marcus Lindeen, présentée au T2G dans le cadre du Festival d’automne puis à la Comédie de Caen, a pour objectif de questionner le processus de (re)construction identitaire à l’épreuve de la dépossession de soi.
En plantant un simple gradin circulaire dans un minuscule espace du théâtre de Gennevilliers et en plaçant les trois interprètes du spectacle au cœur même des spectateurs rassemblés, l’artiste suédois Marcus Lindeen, à la fois auteur, metteur en scène, réalisateur de pièces de théâtre et de films documentaires, signataire de Wild Minds, sorte de thérapie de groupe imaginaire, ou de The Raft, fait d’emblée le choix d’écarter tout déploiement d’une forme spectaculaire au profit d’un minimalisme assumé. Son sujet n’appelle pas nécessairement de grands effets. Ici, l’acte performatif réside dans l’intensité d’une prise de parole qui suspend le public médusé par la profondeur des mots énoncés et échangés sur le mode de l’interview et de la conversation philosophique. Journaliste radio avant d’entamer sa carrière artistique, Marcus Lindeen prouve qu’il a une véritable science pour rechercher et trouver des sujets, raconter des histoires, les communiquer au public, susciter la réflexion et l’émotion de la manière la plus juste possible.
« Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’être moi-même en scène » sont les premiers mots entendus dans L’Aventure invisible. Un homme, la quarantaine passée, les a formulés tandis qu’un comédien au physique juvénile les prononce. Celui qu’il interprète a dû subir une double transplantation faciale et se trouve être le premier homme au monde à avoir reçu une greffe totale du visage suite à une maladie dégénérescente. Une scientifique américaine, spécialiste du cerveau, ayant fait, à même pas la moitié de sa vie, un AVC débouchant sur une hémorragie cérébrale et la perte totale de la mémoire, se retrouve prisonnière d’un corps complètement étranger et sans passé. Enfin une artiste cinéaste transgenre, passionnée par la photographe queer Claude Cahun, une figure pionnière et dommageablement oubliée du surréalisme français, décide de réhabiliter son travail en le mettant en mouvement. Plus qu’une simple appropriation de son œuvre, son geste artistique repose sur une troublante assimilation des deux personnalités.
Trois acteurs prêtent leur corps, leur voix à ces êtres en quête d’identité et permettent l’expérience radicale qu’invite à vivre L’Aventure invisible, celle de la complexe quête du moi, envisagé non pas comme une entité univoque mais plutôt comme un endroit flottant, fluctuant, nécessairement multiple et pluriel. Confrontés à l’épreuve de la dépossession de soi et à la somme d’adversité qu’elle impose, les trois « personnages » de la pièce relatent l’appréhension, la réinvention d’eux-mêmes dans leur tentative de se (re)construire, se (re)trouver, soi ou bien un autre. Devenir quelqu’un d’autre ou bien faire le choix de ne pas se définir en transgressant les notions de genre, de catégorisation, sont des options retenues. Les récits réflexifs et introspectifs s’apparentent donc à une seconde naissance, à un retour de parmi les morts, à une exhumation confuse… Ils sont subtilement assumés par Claron McFadden, Tom Menanteau et Franky Gogo dont l’interprétation sensible n’est jamais suraffectée. Donnant à entendre des histoires sensationnelles mais faisant habilement l’économie du moindre sensationnalisme, L’Aventure invisible de Marcus Lindeen privilégie la dimension brute, lucide, authentique, de témoignages absolument édifiants.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
L’Aventure invisible
[Théâtre]
Texte et mise en scène, Marcus Lindeen
Avec Claron McFadden, Tom Menanteau, Franky Gogo
Dramaturgie, traduction, collaboration artistique, Marianne Ségol-Samoy
Musique et conception sonore, Hans Appelqvist
Scénographie, Mathieu Lorry-Dupuy
lumières, Diane Guérin
Films, Sarah Pucill
Production Comédie de Caen
Coproduction T2G – Théâtre de Gennevilliers ; Festival d’Automne à Paris
Coréalisation T2G – Théâtre de Gennevilliers ; Festival d’Automne à Paris
Avec le soutien de l’Institut français, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le ministère de la Culture et la Cité internationale des arts, le Festival Les Boréales (Caen)
En partenariat avec France Culture.Durée : 1h30
T2G – Théâtre de Gennevilliers
10 au 17 Octobre 2020Comédie de Caen
3 au 6 novembre 2020
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