Réussite totale que cette adaptation en comédie musicale par Léna Bréban de la BD best-seller Peau d’homme. Autour d’une Laure Calamy phénoménale dans le rôle principal, la distribution emporte l’adhésion du public avec un sujet qui pourtant peut cliver, surtout dans le théâtre privé.
Ces dernières années, le cinéma nous l’avait volée. En effet, Laure Calamy était sur tous les écrans et cumulait les têtes d’affiche. Antoinette dans les Cévennes, Une Femme du monde, Annie Colère, À plein temps, ou, tout récemment, Mon Inséparable et Un Ours dans le Jura… Impossible de tous les citer tant la liste est longue, mais force est de constater que rarement on a vu carrière plus fulgurante et ascensionnelle. En quelques années, Laure Calamy s’est imposée comme le nouveau visage du cinéma français, mais les amoureux du théâtre la connaissaient d’avant et se régalaient de la voir inonder les planches de sa vitalité, de son humour pétillant, de sa force de frappe inégalable. Chez Olivier Py, Clément Poirée, Vincent Macaigne, Pauline Bureau ou Catherine Hiegel, à chaque fois, elle percutait et on en garde aujourd’hui encore des souvenirs mémorables. Pire, on en rit encore.
La voici à nouveau sur les planches, dirigée par sa complice de très longue date, Léna Bréban. C’est dire si on l’attendait impatiemment. D’autant plus que la metteuse en scène qui n’a pas son pareil pour les comédies feel good et dans l’air du temps adaptées de romans – on pense à Verte d’après Marie Desplechin, Les Inséparables d’après Colas Gutman et Renversante d’après Florence Hinckel, bientôt repris au Théâtre de la Concorde – s’attèle à lui offrir le rôle principal d’une BD à succès qu’elle adapte sur mesure pour la scène : Peau d’homme, signée Hubert (au scénario) et Zanzim (aux illustrations) et publiée chez Glénat. L’occasion de revoir cette actrice d’exception dans un rôle puissant où elle excelle et prouve une fois de plus l’étendue phénoménale de son talent. Et une énergie de feu, car la comédienne ne quitte que très rarement le plateau durant toute la représentation, opère des changements de costumes en un rien de temps, bondit, virevolte, court et danse, joue grand et fort avec un panache dingue.
Mais Laure Calamy n’est pas seule et ses acolytes de distribution dessinent avec elle ce qui fait la force du théâtre : le collectif. La dynamique de groupe est ici l’œuvre de toute la troupe au taquet qui fait corps pour porter cette histoire poignante et rocambolesque devant nous. Chaque interprète cumule les changements de rôles et volte-faces en des partitions croustillantes en grands écarts qui sont des réjouissances à jouer. Leur plaisir de s’en emparer est d’ailleurs communicatif et la salle rit de bon cœur, réactive et enthousiaste. Les répliques fusent et claquent, sur un rythme fou. Pas un temps mort, pas un ventre mou. Tout n’est qu’élan, rebond, plaisirs et chansons pour porter cette histoire d’antan écrite aujourd’hui, qui évoque en creux les comédies de Shakespeare et de Marivaux.
Dans l’Italie de la Renaissance, Bianca (Laure Calamy, époustouflante, donc), une jeune femme de bonne famille, attend son futur époux qu’elle n’a jamais vu. À ses proches amies déjà mariées, elle exprime une envie incongrue pour l’époque où les mariages sont des arrangements de raison et affaires de sous : connaître celui qui lui est destiné. Sa marraine, farfelue en diable (inénarrable Samira Sedira, au bagout d’enfer et au capital sympathie maximal), lui révèle un secret familial : elle dispose d’une peau d’homme qui transforme quiconque s’en habille en mâle. Bianca s’en empare et part illico et incognito à la rencontre de son fiancé. D’abord, c’est la déconvenue, mais la suite réserve bien des surprises inattendues pour qui n’a pas déjà lu la bande dessinée. Le scénario est sacrément bien ficelé, jamais convenu, alors qu’avec un tel sujet, on pouvait craindre du déjà-vu. Les enjeux de genre, de désir, de liberté, sont remis au goût du jour avec un humour de toutes les situations. On est pris et tenu en haleine dans le plaisir enfantin du récit à rebonds.
Signées Ben Mazué, prises en charge par la distribution tout entière, ainsi que par Clément Simounet au bel accompagnement musical en live, les parties chantées, dans la pure tradition mélodique et rythmique de la comédie musicale, sont d’un charme fou. Quant au travail du corps et aux éclats dansés, ils sont l’œuvre de la chorégraphe Leïla Ka et la qualité est là, indéniable. C’est dire si Léna Bréban a su s’entourer finement pour ce spectacle d’orfèvre où rien n’est laissé au hasard. Les costumes d’Alice Touvet sont un miracle de légèreté, d’humour, d’ingéniosité et d’extravagance mêlés. Le carnaval final a des airs de feu d’artifice visuel et fait son effet. Quant à la peau d’homme, c’est un must. Dans ses multiples rôles, le jeune Vincent Vanhée est une révélation totale (qu’il joue, qu’il chante ou qu’il danse), en prêtre illuminé et fanatique ou oiseau de nuit en talons aiguilles ; et Régis Vallée (fidèle compagnon de route d’Alexis Michalik) fait éclater tous ses talents, à la guitare, au chant, corps robuste et souple, hilarant en tenancière de cabaret, délicieusement attachant en ami d’enfance épris.
Peau d’homme est un récit d’apprentissage concentré sur le personnage de Bianca et son évolution. L’ingénue et l’entravée du début laisse place à une femme de pleine conscience, mais son émancipation individuelle s’étend bientôt à toute la gente féminine. L’inquisition qui sévit dans la ville par le biais de Fra Angelo, son frère trop dévot, fervent défenseur d’une morale étouffante, finit par provoquer l’ire et la révolte généralisée et se mue en fête des hérétiques – et offre un bouquet final grandiose. La pièce célèbre le droit d’être soi-même et d’aimer qui l’on veut, la force du désir et sa beauté. Le spectacle s’empare de cette sensualité au cœur du récit et parvient à lui donner corps sur scène, sans être obscène ni prude pour autant. La découverte du plaisir et de son propre désir s’incarne pleinement, les situations d’ébats sexuels ne sont pas contournées et la metteuse en scène ose vraiment s’en emparer. Ce qui va de pair avec les valeurs véhiculées. Tout est là, au bon endroit, et on ne boude pas notre joie.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Peau d’homme
d’après l’ouvrage d’Hubert & Zanzim (Editions Glénat)
Adaptation et mise en scène Léna Breban
Avec Laure Calamy, Emmanuelle Rivière, Valentin Rolland, Samira Sedira, Clément Simounet, Aurore Streich, Adrien Urso, Regis Vallée, Vincent Vanhée
Chansons Ben Mazué
Chorégraphie Leïla Ka
Assistante à la mise en scène Ambre Reynaud
Supervision musicale Fabrice Martinez
Direction vocale Camille Favre-Bulle, Vincent Heden
Création sonore Raphaël Aucler, Victor Belin
Scénographie Juliette Azzopardi, Jean-Benoît Thibaud
Costumes Alice Touvet assistée de Sonia Bosc et Peggy Sturm
Lumières Denis Koransky
Perruques Julie PoulainProduction Théâtre Montparnasse
Coproduction Acmé ; La Française de Théâtre ; Karé productions ; Le Théâtre de la Pépinière ; Sandra Ghenassia productionsDurée : 1h50
Théâtre Montparnasse, Paris
à partir du 23 janvier 2025
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