Le compositeur Philippe Leroux tire du mystère médiéval de Paul Claudel son premier opéra créé à Nantes et actuellement donné à Rennes. D’une belle densité, l’œuvre peine cependant à ne pas crouler sous une parole qui abonde et sature.
Faire musique à partir du verbe claudélien se présente comme un pari audacieux mais qui semble risquer l’effet pléonastique dans la mesure où chaque verset écrit par le dramaturge abonde déjà d’une archi-musicalité. Cela était évident dans la transposition opératique du Soulier de satin par Marc-André Dalbavie dont la création mondiale a eu lieu à l’Opéra de Paris. Chargée de l’adaptation de ce texte monumental (ce qui n’est pas mince affaire), Raphaèle Fleury signe à nouveau le livret de la version lyrique de L’Annonce faite à Marie composée par Philippe Leroux. Profus, les mots sont ceux de la pièce mais aussi ceux du dramaturge lui-même. L’œuvre s’attache en effet à incorporer à son propre discours musical la voix ronde et paysanne de Claudel lui-même qui intervient de façon éparse, à la manière d’un commentateur ou un « annoncier » pour utiliser un terme claudélien, et ce grâce au minutieux travail réalisé par l’Ircam à partir d’un synthétiseur neuronal.
La voix radicalement mobile et volubile chez Leroux, fait débiter le texte à toute vitesse, de manière poussive et quasi convulsive, sans prendre en compte la respiration nécessaire à l’absorption du sens qu’il véhicule. Sans doute le procédé exprime-t-il bien l’alacrité et l’ardeur juvéniles du personnage central représenté au début de façon exagérément enfantine. Raphaële Kennedy campe une Violaine piquée d’aigus stridulants tandis que Sophia Burgos gratifie sa sœur rivale, Mara, d’âpres raclements. Les deux chanteuses défendent admirablement leur exigeante partition. Comme le reste de la distribution (de haute tenue), elles sont soutenues par les nappes sonores tout en clair obscur de l’Ensemble Cairn dirigé par Guillaume Bourgogne amplifiées par une réalisation électroacoustique qui joue bien du contraste entre les dimensions terriennes et célestes de l’œuvre.
Malgré ses qualités, cette version de L’Annonce faite à Marie laisse un peu froid théâtralement et musicalement. La mise en scène de Célie Pauthe ne fait guère preuve d’inventions ni de libertés formelles, en cloîtrant l’intrigue entre de hauts murs gris, tristes comme ceux d’un couvent, sur lesquels défile parfois la rugosité naturelle du Tardenois natal de l’auteur. Partagée entre l’ascèse et la couleur, des moments étals et d’autres sous haute tension, la composition ne transpire pas l’incandescence. Le motif récurrent de l’amour absolu mais contrarié (sort tragique et transgressif réservé au couple que forment Ysé et Mesa dans Partage de midi par exemple) paraît opératique par excellence. C’est pourtant un Claudel moins passionné et embrasé que profondément mystique qui a retenu l’attention des signataires du spectacle. Les incursions évocatrices de cloches et de cantiques latins en rendent compte. En rose et bleu vêtue, Violaine adopte de la Sainte-Vierge le costume et la posture finale s’apparentant à une pietà.
Cette fille de paysans, qui pour avoir donné au bâtisseur d’églises Pierre de Craon, un charitable baiser, a contracté la lèpre dont il était atteint, finit recluse loin du monde, misérable et aveugle, dénoncée par sa sœur Mara et rejetée par Jacques le fiancé qu’elle devait épouser. Elle permet néanmoins de voir advenir le miracle survenu une nuit de Noël en ressuscitant l’enfant mort de sa sœur désespérée. Pécheresse, martyre et sainte, voilà tout ce qu’est le personnage éponyme qui au terme de sa pitoyable et sublime trajectoire apporte consolation et délivrance au monde. Durant ses deux heures et demi, l’œuvre abuse de certains effets qui tendent à freiner l’émotion, mais ce tableau-ci est totalement saisissant.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
L’annonce faite à Marie
d’après Paul ClaudelDirection musicale Guillaume Bourgogne
Mise en scène Célie Pauthe
Assistance à la mise en scène Solène Souriau
Scénographie Guillaume Delaveau
Réalisation électronique Carlo Lorenzi
Costumes Anaïs Romand
Lumières Sébastien Michaud
Images François Weber
Dramaturgie Denis Loubaton
Livret Raphaèle Fleury d’après l’œuvre de Paul Claudel
Violaine Vercors Raphaële Kennedy, soprano
Mara Vercors Sophia Burgos, mezzo-soprano
Elisabeth Vercors Els Janssens Vanmunster, mezzo-soprano
Anne Vercors Marc Scoffoni, baryton
Jacques Hury Charles Rice, baryton
Pierre de Craon Vincent Bouchot, ténor
Ensemble Cairn Électronique Ircam
Construction du décor et fabrication des costumes Angers Nantes Opéra
Éditeur Gérard Billaudot
Durée 2h25
Nantes – THÉÂTRE GRASLIN
Octobre 2022
Dimanche 9 – 16h (garderie gratuite à partir de 3 ans)
Mardi 11- 20h
Jeudi 13 – 20h
Vendredi 14 – 20hAngers – GRAND THÉÂTRE
Novembre 2022
Samedi 19 – 18h (garderie gratuite à partir de 3 ans)Rennes
Dimanche 6 novembre à 16h, mardi 8 novembre à 20h et mercredi 9 novembre à 20h.
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