La Tentative de part(ur)ition scénique opérée par la jeune metteuse en scène et le comédien reste au stade embryonnaire, incapable de faire entendre le texte de Florence Pazzottu qu’ils entendaient transmettre.
Le constat livré par Laure Catherin dans la note d’intention de sa nouvelle création, L’Accouché(e), est on ne peut plus pertinent : « Mettre au monde un.e autre reste un chapitre à peu près inarticulé dans la mise en récit poétique de l’aventure humaine, y compris picturale et philosophique. Ce passage-là est un impensé de nos grands récits, condamné à se restreindre dans ses formes pour se dire ou dans ses auditoires pour être entendu. » Absent des plateaux de théâtre, le thème de l’accouchement l’est à peu près tout autant de la sphère sociale, réduit à la mythologie du « plus beau jour de la vie ». Longtemps tenace, cet écran de fumée tend aujourd’hui, de façon extrêmement progressive, à se dissiper. À l’image de la maternité qui n’est plus forcément décrite comme enchanteresse et idyllique, grâce à la libération de la parole de ces femmes qui n’hésitent plus à témoigner, avec courage, de leur dépression post-partum, voire de leur regret d’être devenues mères, et à briser ce tabou, la réalité du moment de l’accouchement, sa douleur et les dégâts, parfois à long terme, qu’il peut causer sur le corps des femmes tendent à sortir du domaine privé, essentiellement féminin, où ils étaient cantonnés, à s’extraire de ces confidences transmises sous le manteau, et souvent à voix très basse, entre amies, entre soeurs ou entre mère et fille.
Après Howl 2122, construit à partir de témoignages d’étudiant·es recueillis sur le campus de Rennes à la sortie de l’année de pandémie liée au Covid-19, le projet de Laure Catherin de porter le « moment de l’accouchement » au plateau avait de quoi intriguer. À l’initiative du comédien Christophe Grégoire, la jeune metteuse en scène s’est, pour ce faire, emparée de L’Accouchée de Florence Pazzottu. Particulièrement touffu, voire abrupt, à certains égards, à la lecture, ce court texte nous entraîne à l’intérieur de l’esprit de Sara, une femme sur le point d’accoucher. Heure par heure, moment clef par moment clef, un narrateur interne décrit toute la phase de pré-accouchement – l’attente, les doutes, les réactions du personnel médical, la question du recours à la péridurale –, mais aussi l’accouchement en lui-même – redouté autant qu’espéré après plusieurs heures particulièrement épuisantes de « travail » –, dans un mélange de ressentis physiques et psychologiques, de faits extérieurs et de tourments intérieurs, de craintes et d’espoirs. Ce récit, Laure Catherin et Christophe Grégoire auraient pu s’en servir comme d’une base de travail, d’un substrat, sur lequel faire germer une création théâtrale beaucoup plus ample. Las, ils ne font que s’adonner à une sorte de lecture augmentée de l’ouvrage de Florence Pazzottu au gré de certains passages choisis et à travers une armée de micros de différentes natures, qui modifient la texture des voix en fonction de leurs formes et spécificités techniques.
Plutôt que de faciliter la transmission du récit, cette mise en espace sous stéroïdes tend à faire écran. Comme s’ils butaient sur une serrure qu’ils ne parvenait pas à ouvrir, Laure Catherin et Christophe Grégoire ne cessent de chercher la bonne clef, de multiplier les vecteurs scéniques pour tenter de trouver celui qui, enfin, pourrait permettre aux mots de Florence Pazzottu de s’épanouir, et de nous parvenir. Infructueuse, leur Tentative de part(ur)ition scénique tourne à l’empilement d’essais sans effets et, à de multiples reprises, d’occupations vaines de l’espace tandis que le texte défile. De la séance d’essayage de costumes que l’on fait descendre brusquement du plafond aux pas de danse amateurs de Fabienne Compet, en passant par le démontage d’un grand bloc fait de plaques en polystyrène, rien ne procède réellement du texte et tout paraît plaqué sur lui, tout voudrait être symbolique, mais rien ne fait vraiment sens, tout achoppe et tout divertit de la matière première, et prend parfois l’allure d’un fatras scénique à la réalisation poussive et au contenu désordonné. Et l’on se prend alors à rêver d’une mise en scène plus sobre, et dotée d’une tout autre orientation.
Car Laure Catherin et Christophe Grégoire avaient à portée de main un matériau en or : la parole de ces femmes qui évoquent leur accouchement, ou la vision qu’elles en ont, ou en avaient. Combinée à un vrai travail d’adaptation du texte de Florence Pazzottu – dont on peut interroger le degré de compatibilité, en l’état, avec un plateau de théâtre –, et non utilisée de manière purement ornementale en guise de prologue ou d’intermèdes comme c’est le cas ici, elle aurait pu venir fortifier et solidifier un geste artistique qui, parce qu’il veut se montrer puissant, tourne au passage en force. Tandis que Fabienne Compet végète dans un rôle annexe transparent, Laure Catherin, dans les nombreux passages qu’elle interprète, submerge le texte d’intentions, tant et si bien qu’il en vient à sonner de manière artificielle. Comédien talentueux, fidèle d’Éric Lacascade, Christophe Grégoire réussit de son côté, à intervalles réguliers, à se faire plus authentique, comme si ce texte lui était chevillé au corps, mais il n’échappe pas au trou noir qui, peu à peu, se crée : à trop multiplier les idées, Laure Catherin et lui surchargent leur spectacle qui, inévitablement, s’effondre sous son propre poids.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
L’Accouché(e) / Tentative de part(ur)ition scénique
d’après L’Accouchée de Florence Pazzottu (Éditions LansKine, 2023)
Un projet de Laure Catherin et Christophe Grégoire
Avec Laure Catherin, Fabienne Compet, Christophe Grégoire
Création scénographique Clémence Mahé
Création chorégraphique Fabienne Compet
Création sonore Maxime Poubanne
Création lumière Ronan Cabon
Regard extérieur Flora DiguetProduction LaDude
Coproduction La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc ; CPPC, Rennes ; La Paillette, Rennes ; Le Pont des Arts, Cesson-Sévigné ; Dinan Agglomération ; Université Rennes 2 ; La Maison du Théâtre, Brest
Soutiens DRAC Bretagne ; Conseil régional de Bretagne ; Conseil départemental d’Ille-Et-Vilaine ; Rennes Métropole ; Ville de Rennes ; Spectacle Vivant en Bretagne ; Le Zef, Marseille ; Printemps des Comédiens ; WARMUP, Coopération Itinéraires d’artistes Nantes, Rennes/Brest, Rouen, Le Mans ; Au Bout Du Plongeoir, Rennes ; Théâtre l’Aire Libre, Saint-Jacques-de-la-Lande ; Théâtres de Saint-Malo ; Festival Mythos ; Festival Fragments ; Maison du Livre de Bécherel ; EPCC Les Arts de Lire, Lagrasse ; DRAC Bretagne et ARS Bretagne dans le cadre d’un partenariat
Avec l’aide à la diffusion de la Ville de ParisDurée : 1h45
Vu en février 2025 au Théâtre Silvia Monfort, Paris
Le Tambour, Rennes
le 13 marsLa Maison du Théâtre, Brest
les 25 et 26 marsLa Paillette, Rennes, dans le cadre du Festival Mythos
les 28 et 29 mars
Je viens de voir le spectacle dans le cadre du festival Mythos à Rennes. J’ai été bouleversé ! Rien à voir avec l’expérience que Vincent Bouquet décrit. La mise-en scène et l’interprétation des 3 interprètes m’ont, pour ma part, aidé à recevoir le récit de Florence Pazzottu. Un travail sur la langue (sonorisée), sur la subjectivité et l’intériorité. Un travail subtil et audacieux, sur un sujet ô combien sensible. La création sonore porte parfaitement l’ensemble. Bravo à Laure Catherin, Fabienne Compet et Christophe Grégoire.