L’auteur et metteur en scène Adel Hakim, co-directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National du Val-de-Marne est décédé à l’âge de 64 ans à Ivry. Atteint d’une maladie dégénérative depuis trois ans, il n’a pas pu, comme il le souhaitait mourir à Zurich, auprès de l’association Dignitas à laquelle il avait adhéré. Adel Hakim, en accord avec ses proches, avait fixé la date de son suicide assisté mais son état de santé l’a empêché d’effectuer le déplacement vers la Suisse. Avant de mourir, Adel Hakim a souhaité expliquer son choix et son engagement pour le droit de mourir dans la dignité dans une lettre que nous publions.
Avec un courage incroyable Adel Hakim a lutté au cours de ces dernières années, et notamment lors de l’inauguration de la Manufacture des Œillets, le théâtre qu’il avait tant rêvé avec Élisabeth Chailloux lorsqu’ils ont pris la direction du Théâtre des Quartiers d’Ivry en 1992 à la suite de Catherine Dasté. La maladie l’avait empêché de prendre la parole aux côtés d’Elizabeth Chailloux pour présenter son bébé. Tous les deux ils ont porté à bout de bras ce projet pendant des années pour doter le TQI d’un vrai théâtre pour faire entendre la parole du Théâtre des Quartiers du Monde, si cher à son cœur.
Adel Hakim était un grand humaniste, comme en témoigne sa fresque historique Des Roses et du Jasmin, créée à Jérusalem avec les acteurs du Théâtre National Palestinien, qui raconte le destin commun de la Palestine et d’Israël à travers trois générations. Il fallait lire sur le visage d’Adel, au soir de la première à Jérusalem-est en juin 2015, la fierté d’avoir mené à bien ce projet; que des comédiens palestiniens jouent des rôles de juifs, que l’histoire de la Shoah soit mentionnée sur une scène palestinienne alors qu’elle n’est pas racontée aux élèves palestiniens. Les mots d’Adel Hakim étaient la réponse à la haine.
Adel Hakim est né au Caire en 1953. Il vit en Égypte puis au Liban avant de s’installer en France en 1972 pour suivre ses études : économie, mathématiques, doctorat de philosophie et théâtre universitaire. C’est le début de sa carrière en France. Il pratique le théâtre universitaire et suit des ateliers avec Ariane Mnouchkine et John Strasberg de l’Actors Studio. En 1984, il fonde avec Élisabeth Chailloux le Théâtre de la Balance et sont nommés en 1992 à la direction du Théâtre des Quartiers d’Ivry et de l’atelier théâtral d’Ivry. Ils y présentent un répertoire de grands textes contemporains ou classiques. Adel Hakim fait notamment découvrir l’auteur uruguayen Gabriel Calderón. Il a mis en scène Eschyle, Botho Strauss, Joseph Delteil, Sénèque, Roland Fichet, Goldoni, Pirandello, Shakespeare, Sophocle, Marivaux… En 2012, Antigone de Sophocle monté avec les acteurs du Théâtre National Palestinien reçoit le Prix de la Critique du meilleur spectacle étranger.
L’œil pétillant et rieur d’Adel Hakim va manquer à la scène théâtrale française.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
LIBRE ADIEU
Adel Hakim
Ivry sur Seine, 15 août 2017En 1975 la France rend légale l’interruption volontaire de grossesse.
En 1981 la France proclame l’abolition de la peine de mort.
En 2013 la France légalise le mariage pour tous.
Chacune de ces lois élève le niveau de respect et de dignité des citoyens.Une personne désespérée de son mode de vie, de ses souffrances physiques ou mentales, des violences, des injustices et humiliations qu’elle subit au quotidien peut vouloir se donner la mort. Le plus souvent en s’isolant. Se pendre, se tirer une balle dans la tête, avaler des masses de cachets, se faire harakiri.
Ou devenir kamikaze. Seul ce dernier choix de suicide pris par de jeunes terroristes est empreint de colère et de vengeance qui va chercher à tuer des victimes innocentes.
Le 17 décembre 2010 a eu lieu en Tunisie une auto-immolation par le feu de Mohamed Bouazizi sur une place publique. Les autorités avaient confisqué la marchandise à ce jeune vendeur ambulant de fruits et légumes dans la ville de Sidi Bouzidi. La révolution tunisienne a débuté ce jour-là nommée « Révolution du Jasmin », rappelant la « Révolution des Œillets » au Portugal de 1974.
C’est dire combien la relation entre la vie et la mort porte du sens à l’humanité. Un sens qui ne peut être ignoré. Les sociétés capitalistes, donc purement matérialistes, ne font que l’occulter. Cette ignorance finit par produire des drames puis des tragédies.
L’expérience que je vis depuis près de trois ans, affecté d’une sclérose latérale amyotrophique, maladie dégénérative avec, justement, une espérance de vie de deux ans et demi, m’a fait découvrir de manière intime une nouvelle expérience de vie. Une autre liberté. Une liberté interdite par la législation française.
Malgré cette interdiction des autorités françaises de faire un choix de fin de vie tel qu’un suicide assisté, je me considère comme un privilégié. Malheureusement, la majorité des français n’ont pas accès à ce type de privilèges. Ceci m’attriste pour eux. Une lutte doit être constamment menée par les citoyens pour défendre les concepts de Liberté, Égalité, Fraternité. Et qu’une concrétisation de ces concepts soit un jour acquise.
Ce privilège que j’ai eu repose sur mon statut, mes ressources financières, l’ouverture d’esprit de mon entourage. Aucun de mes proches, dont ma fille unique Lou, ne s’est opposée à ma décision. Ce privilège m’a permis d’adhérer à une association en Suisse, Dignitas, pour fixer mon dernier jour de vie sur notre planète : le lundi 28 août 2017.
Avec Dignitas tout est mis en œuvre de manière rigoureuse sur les plans administratif, juridique, médical. Une forte attention aux demandes des patients. Cette attention est accordée avec une parfaite distance, avec respect et sans empathie.
Malgré toute ma confiance et mon estime à l’égard de Dignitas, le fait qu’il faille voyager en ambulance pendant 8 heures vers les alentours de Zurich alors que je réside à Paris est un déplacement lourd pour moi et pour les proches qui m’accompagnent.
Problèmes d’élocution, de salivation, de fasciculation, de perte de poids, d’affaiblissement des muscles, de respiration, d’alimentation… Des symptômes caractéristiques de cette maladie qui a surgi dans mon cerveau et qui a affecté une partie de mes neurones.
Prendre la parole clairement, argumenter, dialoguer, lire des textes en public fait partie du métier théâtral et des activités artistiques du spectacle vivant. Perdre la capacité de parler, de m’exprimer oralement en tant qu’homme de théâtre a un impact primordial. Malgré cette difficulté, j’ai essayé de poursuivre le plus longtemps possible ma fonction de metteur en scène, d’auteur et de directeur. Mais pas en tant qu’acteur.
L’équipe du Théâtre des Quartiers d’Ivry, centre dramatique national du Val-de-Marne, a été assez vite au courant de ma maladie. Elle m’a fortement soutenu dans mon travail. Elle a accepté que je reste au poste de co-directeur artistique avec Elisabeth Chailloux jusqu’à la fin de notre mandat qui vient à échéance au 31 décembre 2018. Ce ne sera pas le cas pour moi. Je n’y serai pas. Cette échéance est trop lointaine pour mon corps.
Avec l’évolution de cette maladie qu’aucun traitement médical ne peut faire régresser, j’ai tout fait pour être présent à l’inauguration de la Manufacture des Œillets. Et poursuivre la première saison du Théâtre des Quartiers d’Ivry dans ce magnifique lieu. Je souhaite donc à tous une belle saison 17-18 et une belle année 2018.
Depuis quelques mois, perdre mon autonomie en termes de mouvement, de paraplégie m’est devenu insupportable. D’où mon souhait d’aller auprès de Dignitas. Il ne s’agit pas d’une euthanasie mais d’un suicide assisté avec une volonté consciente du patient de mettre fin à ses jours compte tenu de sa difficulté à survivre. Comme quoi parfois une mort sereine est la seule solution face aux souffrances générées par l’acharnement thérapeutique.
Dans cette situation, le fait de pouvoir adresser un Libre Adieu est très étonnant. Une fois la date fixée pour passer de l’autre côté du miroir, le sens de chacun des jours restants est une boule de cristal d’une richesse infinie.
Cette date de dernier jour de vie décidée en amont est impossible pour la très grande majorité des humains. Néanmoins, un équilibre Ying et Yang, Eros et Thanatos, Vie et Mort, rassérène. Il n’est pas nécessaire d’être angoissé par l’idée de la mort. Il faut l’accepter car c’est un passage inéluctable vers l’au-delà. Aucun de nous n’est immortel. Aussi faut-il vivre avec plaisir, partage, solidarité, porter attention et secours, entre autres, aux démunis et aux migrants.
Alors, ADIEU, chers vivants !
Avant notre naissance, tout au long de notre vie et après notre mort, nos cellules, nos molécules, notre esprit, nos rêves, nos souvenirs, appartiennent au système Solaire, à la Voie Lactée, à notre Galaxie et à l’Univers dont nous ignorons les limites.
Je vous embrasse avec tous les espoirs de paix et d’amour que nous portons dans nos cœurs.
Adel Hakim
Un très bel Adieu, pudique et généreux. J’admire.