Dans Les Doyens, avec un humour en rafales auquel il ne nous avait pas habitué, Christophe Honoré déjoue les principes de l’éducation à l’ancienne et la posture d’autorité des adultes par le biais de deux savants farfelus, tout sauf fiables. Et imagine une conférence en roue libre complétement zinzin bombardant ses références dans un chaos réjouissant.
Si Christophe Honoré est familier de l’écriture pour la jeunesse (il a publié bon nombre de livres pour enfants et adolescents), il ne nous avait pas habitué à ce créneau en tant que metteur en scène. Le voici donc programmé pour la première fois dans le cadre du Parcours Enfance & Jeunesse du Théâtre de la Ville avec Les Doyens, une pièce en forme de conférence foutraque et corrosive qui se moque ouvertement de l’esprit de sérieux, détrône les adultes de leur piédestal de sagesse et fustige une éducation poussiéreuse et dépassée. Place à l’irrévérence, à l’absurde, aux digressions et coqs à l’âne, exit les modèles taillés dans le marbre, Honoré déboulonne les maîtres à penser, ridiculise les garants du savoir et mixe les références dans un cocktail culturel populaire et savant, explosif et réjouissant, qui brasse tous azimuts la mythologie grecque, Hésiode, Darwin, Jean-Jacques Rousseau, Botticelli, Shakespeare, Harry Potter, Sheila et Michel Foucault, en passant par l’emblème de la somme des savoirs par excellence et du siècle des Lumières, considérée comme la première encyclopédie éditée, la fameuse Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, le sous-titre en dit long sur l’ambition.
Ici aussi, nos deux conférenciers perruqués façon Louis XIV, la mise élégante et la mine poudrée, se donnent pour mission de remettre dans le droit chemin un auditoire de bambins. Combattre l’ignorance, la bêtise et l’idiotie et apporter « une boussole pour la vie », tel est le défi bien évidemment pétri d’ironie qu’ils se fixent et annoncent en préambule. Sauf que dès l’évocation du Big Bang, le chaos s’immisce dans leur duo qui devient vite un trio. On glisse sans transition d’un cours de tango exotique à un quizz musical qui joue la carte du trivial, d’une scène de ménage parentale à une séance de spiritisme qui convoque le Père Noël trépassé, Rémus et Romulus croisent Moïse, le petit Jésus et les rois Mage. Autant dire que nos compères mortifères font régner malgré eux le plus grand bazar et provoquent l’hilarité générale. Jean-Charles Clichet n’a jamais été aussi drôle, inénarrable savant pontifiant assorti de son acolyte tout aussi discoureur et pédant, Julien Honoré, qui s’en donne à cœur joie lui aussi dans cette partition gourmande en forme de terrain de jeu illimité. A leurs côtés, le jeune Sylvain Debry apporte sa dose de charme et de poésie, équilibrant de sa présence innocente le poids d’une culture archaïque coulée dans le marbre et la traversée des siècles de nos deux érudits immortels.
Dans un décor d’amphithéâtre suintant le patrimoine à plein nez, les bureaux en bois deviennent table de ping-pong, le tableau à la craie se soulève pour laisser place à un solo de guitare électrique foudroyant, le squelette d’étude fossilisé devient porte-manteau de fortune, les dossiers sont balancés par-dessus bord, bref, rien ne va plus, l’éducation prend l’eau, les vénérables professeurs dérapent et perdent leur latin, c’est le bazar généralisé, désordre et désobéissance l’emportent sur règles et discipline.
Si l’entrée en matière est un sommet d’humour et d’impertinence, le procédé s’essouffle un peu sur la durée malheureusement. Et l’on a le sentiment au bout d’un moment de patiner dans la semoule ou de tourner en rond c’est selon malgré une interprétation au poil qui nous régale jusqu’au bout pour le coup. Mais Christophe Honoré a le mérite, dans son approche du genre, d’oser le pavé dans la mare, d’affirmer son geste sur la durée, de s’ancrer dans l’époque et d’assumer à fond le dégommage sans scrupule d’une éducation passéiste et rétrograde avec un humour forcené qui est la clé de la désobéissance fertile. Et last but not least, il porte haut le sens de l’anachronisme et le goût de la liberté.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Les Doyens
Texte, conception et mise en scène Christophe Honoré
Avec Julien Honoré, Jean-Charles Clichet et Sylvain Debry
Collaboration à la mise en scène Christèle Ortu
Scénographie Thibaut Fack
Lumières Mogan Daniel
Création & régie son Jean-baptiste de Tonquédec
Costumes Oriol Nogues
Perruques Catherine de Saint-Sever
Assistanat à la dramaturgie Alexandre Cordier
Régie générale et plateau Frédéric Plou
Régie lumière Charly Hové
Construction des décors L’Atelier Baraka
Administration de production Colin Pitrat, Clémence Huckel, Iris Cottu – Les Indépendances
Diffusion Florence BourgeonProduction Comité dans Paris / La Comédie de Reims – Centre dramatique national
Coproduction Théâtre de la Ville – Paris, Théâtre de Vidy-Lausanne, Le Volcan scène nationale du Havre, MA scène nationale Pays de Montbéliard
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Soutien en résidence Théâtre de la Ville – Paris ; Le Volcan scène nationale du Havre ; Cromot, Maison d’artistes et de productionLe Comité dans Paris est une compagnie conventionnée par la DRAC Ile-de-France – Ministère de la Culture
Durée : 1h20
Du 8 au 18 novembre 2023
Création au Théâtre de la Ville – Paris (Les Abbesses)23 et 24 novembre 2023
MA Scène nationale – Pays de Montbéliard28 novembre au 1er décembre 2023
Comédie de Reims – CDN6 au 8 décembre 2023 (dans le cadre du Festival Ad Hoc)
Volcan, Scène nationale du Havre21 au 23 décembre 2023
Théâtre national de Nice11 et 12 janvier 2024
Scène nationale de l’Essonne, Evry17 au 21 janvier 2024
Théâtre de Vidy-Lausanne15 et 16 avril 2024
Hippodrome de Douai / TANDEM Scène nationale
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