Génération sceneweb (1/30). Dix ans auront suffi à Julien Gosselin pour s’imposer comme l’un des metteurs en scène les plus en vue de sa génération. Programmé au Festival d’Avignon, en 2013, peu de temps après sa sortie de l’école du Théâtre du Nord, avec son adaptation des Particules élémentaires, le trentenaire s’exporte aujourd’hui jusqu’à Amsterdam et Berlin.
Julien Gosselin aura vécu une décennie en or. Parti, en 2009, de l’école du Théâtre de Nord, berceau de sa compagnie, Si vous pouviez lécher mon coeur, le voilà, dix ans plus tard, aux commandes de l’une des meilleures troupes européennes, l’ITA Ensemble, pour L’Homme qui tombe, et bientôt artiste associé à la Volksbühne de Berlin. Entre-temps, le trentenaire s’est imposé comme l’un des metteurs en scène les plus en vue de sa génération, au gré de sa triple participation au Festival d’Avignon en 2013 (Les Particules élémentaires), 2016 (2666) et 2018 (Joueurs, Mao II, Les Noms), et de ces longues, très longues, tournées qui ont donné l’occasion à nombre de spectateurs de découvrir son travail. Et pourtant, dans sa tête, rien n’a changé, ou presque. « Pour moi, explique-t-il, il n’y a pas de différence entre diriger la jeune troupe que nous étions et celle d’Ivo van Hove. Alors que les artistes que j’aime le plus viennent souvent du champ plastique, de la danse ou de la musique, j’ai finalement une façon de travailler toujours assez traditionnelle, avec des longs temps de répétitions et une troupe d’acteurs qui se connaissent bien. »
Sa réussite, Julien Gosselin la doit sans doute aux auteurs qu’il a choisis, tels Michel Houellebecq, Roberto Bolaño ou Don DeLillo, mais aussi à ce langage reconnaissable entre mille, savant mélange de vidéo et de théâtre, de rapport direct au texte et de transe musicale, de quête de vérité et de littérature, qu’il a su dompter et faire évoluer. « Quand le public me dit qu’il doit être difficile d’adapter des romans au théâtre, je leur réponds toujours que c’est, au contraire, ce qui m’a permis de trouver le langage qui est le mien, assure-t-il. L’adaptation des romans m’a permis d’aimer profondément le théâtre car elle me donne les moyens de faire entrer une forme de poésie à l’intérieur. La plupart des metteurs en scène ont pu trouver leur langage avant d’être exposés, ce qui ne fut pas mon cas. C’est 2666 qui, je crois, m’a permis d’en avoir les clés et de pouvoir, depuis, engager un combat avec lui pour essayer de comprendre mon art. »
Un metteur en scène d’avant Marx
Car, loin d’afficher l’impeccable assurance de ses objets scéniques, le jeune metteur en scène est un artiste en proie au doute, bousculé, comme tant d’autres, par le monde qui l’entoure. « Je me rends compte que je suis, à côté d’artistes comme Milo Rau qui s’attaquent de manière frontale à des choses d’aujourd’hui, un vieux metteur en scène de fiction, ce qui m’interroge beaucoup, affirme-t-il. Même si je constate cette ringardisation, j’ai besoin, au fond de moi, de cette fiction, de ce rapport aux œuvres, aux auteurs, qui ne me permet pas d’être en prise directe avec le réel. J’ai un intérêt très puissant pour la structure des œuvres, pour leur plastique, mais aussi pour ces phénomènes invisibles, intérieurs, qui empêchent toute dimension explicative. » Dans une discussion récente avec lui, Sylvain Creuzevault a résumé la chose ainsi : « Là où je suis un metteur en scène d’après Marx, d’un monde où Dieu est mort, tu es un metteur en scène d’avant Marx, d’un monde où l’on attend que Dieu vienne désespérément. »
L’avenir, Julien Gosselin le dessinera peut-être dans cet écart, dans cette façon d’être « un enfant du XXe siècle qui vit au XXIe », dans ses spectacles « trop longs et trop gros pour l’époque », dans cette volonté « d’interroger la place du théâtre et le rapport politique que peut avoir la forme dans ce monde où tout va si rapidement », de « créer du présent » et, en même temps, « d’explorer la face nostalgique de [son] cœur, d’entretenir un rapport avec des choses qui n’existent plus », comme il le fera dans son prochain spectacle, Le passé, d’après les œuvres de Leonid Andreïev, dont la création est prévue à la mi-2021, juste après son adaptation du Dekalog qu’il devrait présenter en février, avec les jeunes artistes du Groupe 45 de l’Ecole du TNS. Pour le reste, outre l’ouverture de son lieu de fabrique théâtrale à Calais – qui devrait être repoussée, à cause de la crise du Covid-19, après 2022 et attend toujours un soutien financier de l’Etat pour compléter ceux de la ville et de la région et assurer son futur fonctionnement –, le metteur en scène n’a qu’un seul et simple objectif : « pouvoir continuer à travailler avec ma troupe et mes techniciens pour monter des spectacles. » Qu’importe la forme que cela prendra.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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