Au Théâtre Nanterre-Amandiers, Jacques Osinski transforme la nouvelle de Büchner en un seul en scène intimiste porté par le comédien Johan Leysen. D’un esthétisme remarquable, sa proposition peine néanmoins à bouleverser.
« Lenz » fait partie de ces textes paradoxaux. Grand classique du théâtre allemand, la nouvelle inachevée de Georg Büchner est relativement peu montée en France. Pour tenter d’en révéler d’autres facettes, Jacques Osinski choisit de la présenter sous un jour atypique. Là où Cornelia Rainer avait entrepris une réhabilitation de Jakob Lenz grâce à une mise en scène traditionnelle, le metteur en scène français opte pour un solo. Toute la place y est donnée au récit des pensées tumultueuses du jeune écrivain, conté par Johan Leysen comme s’il en avait été témoin.
Poète maudit, malade de l’âme aux tendances suicidaires, disciple de Kant et ami de jeunesse de Goethe, Lenz espère pouvoir régler ses troubles psychiques en se retranchant dans les montagnes vosgiennes, chez le pasteur Oberlin. Rejeté par la nature qu’il a parcourue pour arriver jusqu’à son refuge, il n’y trouve pas le réconfort et la paix intérieure qu’il avait escomptés. Pour lui, tout ne semble être qu’obstacles et meurtrissures, lutte constante et complexe sur les chemins escarpés de sa pensée. La sagesse touchante d’un comédien d’âge mûr comme Johan Leysen donne une résonance particulière à ce mal de vivre propre à la jeunesse. De sa voix douce au timbre grave, éraillée par les années, il porte un regard bienveillant et ferme sur ce jeune homme perdu en lui-même. Il réussit à transformer son histoire en un conte initiatique dramatique réservé aux grands enfants.
Dans cette forme intimiste, deux écrans vidéo font office d’unique décor. Et quel décor ! Grâce au travail du vidéaste Yann Chapotel, les montagnes parcourues par Lenz se dessinent en toile de fond au rythme d’un travelling presque imperceptible. Filmées à deux saisons différentes, les images donnent à voir des paysages splendides, emplis de cimes qui percent sous une épaisse brume et de neige immaculée. D’une hostilité accueillante, ce panorama offre à Johan Leysen un écrin onirique où les mots ne sont plus les seuls vecteurs de sens. Sans tomber dans l’illustration du récit, il en ouvre plutôt une autre dimension. Comme si ces montagnes avaient elles-mêmes pénétrées dans l’esprit de Lenz. A la fois prison dangereuse et magnifique champ des possibles.
Seulement, le récit de Johan Leysen reste trop intérieur. Dans sa posture statique et froide, quasiment désincarnée, il n’offre pas assez de générosité dans son jeu. Décrits avec un ton uniforme, lent, découpé, les tourments du jeune Lenz ne parviennent pas tout à fait jusqu’à nous. Là où ils devraient parfois exploser, ils restent en retrait, piégés dans des variations qui souffrent d’être insuffisamment marquées. Le regard perdu dans la vague, Johan Leysen ne cherche jamais à impliquer le public dans cette histoire et le laisse alors à l’extérieur, subjugué par la beauté esthétique de l’objet théâtral mais trop peu bouleversé.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Lenz
Mise en scène
Jacques Osinski
Texte
Georg Büchner
Traduction
Georges-Arthur Goldschmidt (Éditions Vagabonde, 2009)
Avec
Johan Leysen
Scénographie vidéo
Yann Chapotel
Lumière
Catherine Verheyde
Dramaturgie
Marie Potonet
Durée estimée
1h25Nanterre Amandiers
Du 23 novembre au 3 décembre 2017
Mar., mer., jeu., ven. à 20h
Sam. à 18h
Dim. à 16h
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