Aux commandes de la troupe de l’Internationaal Theater Amsterdam, le metteur en scène flamand propose une version augmentée de son Electre / Oreste présenté il y a tout juste deux ans à la Comédie-Française. Remarquable de fluidité et de limpidité, parfaitement incarnée, cette plongée dans la violence des Atrides donne malgré tout, parfois, l’impression d’un passage en force scénique.
Ivo van Hove n’en avait donc pas fini avec les Atrides. Il y a deux ans, déjà, le metteur en scène flamand embarquait les comédiens-français, avec son diptyque Electre / Oreste, dans le bal sanglant de cette famille, frappée d’une malédiction qui pousse, coûte que coûte, et à n’importe quel prix, ses membres à s’entretuer. A la tête, cette fois, de la troupe de l’Internationaal Theater Amsterdam qu’il dirige, il renoue, dans Age of Rage, avec la logique de ces fresques théâtrales qui ont ces dernières années, de Kings of War aux Tragédies romaines, fait son succès, et combine pas moins de six pièces d’Euripide – Iphigénie à Aulis, Les Troyennes, Hécube, Electre, Oreste – et d’Eschyle – Agamemnon –, comme pour mieux revenir aux origines de la spirale infernale, nourrie, autant que subie, par les descendants d’Atrée. Car, moins qu’à la langue des auteurs antiques, c’est bien à la mécanique implacable qu’ils décrivent qu’Ivo Van Hove s’intéresse, celle qui pousse des femmes et des hommes, essentiellement par vengeance, à enchaîner, dans une dynamique de radicalisation à tous crins, les sacrifices humains.
Le défi était de taille, et il est relevé d’une main de maître par le dramaturge Koen Tachelet et le metteur en scène. Condensées en 3h45 – entracte compris –, les six tragédies donnent naissance à un seul et unique récit qui, sans s’embarrasser de l’ensemble des faits habituels qui passent alors pour des détails, dit tout du malheur à la fois causé et vécu par Agamemnon, Clytemnestre et consorts. Remarquable de fluidité et de limpidité, fondé sur un accompagnement constant du spectateur – avec, notamment, l’aide d’un arbre généalogique omniprésent –, il offre, par l’enchaînement quasiment ininterrompu de sacrifices qu’il génère, un caractère encore plus cruel et brutal à la destinée des Atrides. Que leur innocence soit totale, tels Iphigénie, Polydore, Polyxène ou Cassandre, ou plus discutable, comme Clytemnestre et Agamemnon, les victimes de ce déferlement de rage ne cessent, par leur mort, de nourrir, plutôt que d’étancher, une soif de violence et de vengeance qui paraît, jusqu’au coup de sifflet final d’Apollon, ne plus pouvoir s’arrêter, aller de mal en pis, et même avoir atteint une sorte de point de non-retour.
Surtout, et c’est là son coup de maître, Ivo van Hove ne cesse de vouloir démythifier ces figures qui semblent habituellement lointaines, et quasiment intouchables pour certaines. D’emblée, coincé dans le port d’Aulis où il attend désespérément que le vent se lève pour fondre avec ses troupes sur Troie, Agamemnon incarne, avant d’être un irrésistible chef de guerre, un père en proie au doute, sommé de choisir entre sa fille et son pouvoir ; quand Ménélas passe pour un roi nu et faible, et Clytemnestre pour une mère ravagée par le sacrifice d’Iphigénie, tout comme Hécube qui voit ses enfants périr les uns après les autres. A ces personnages mythologiques, le metteur en scène redonne alors une face humaine, trop humaine, qui n’en paraît que plus cruelle lorsque, rongés par les spasmes meurtriers, tous s’effondrent dans une certaine primitivité, voire dans une forme d’animalité. En parallèle, il révèle le pouvoir, souvent négligé, des masses, incarnées tantôt par le peuple, tantôt par l’armée, qui, le couteau entre les dents, asservissent ces dirigeants trop faibles et accrochés à leur lustre pour leur résister, comme s’ils se retrouvaient coincés entre le marteau de la malédiction divine et l’enclume des injonctions populistes.
Reste que, au-delà de ce travail dramaturgique exemplaire et de la direction d’acteurs, toujours aussi fine, qu’il impose à sa troupe de l’Internationaal Theater Amsterdam – Chris Nietvelt et Hans Kesting en tête –, Ivo van Hove prend le risque de la redondance au travers d’une débauche d’engagement physique et d’une scénographie un rien tapageuse qui, combinées, peuvent parfois donner l’impression d’un curieux et inutile passage en force scénique. Longtemps créateur, avec son fidèle scénographe Jan Versweyveld, d’images à la beauté époustouflante, il semble, cette fois, s’être converti au grand show, et, ce faisant, apparaît plus à la peine. Nonobstant la première partie dopée au métal, aussi ébouriffant qu’appuyé, aux effets vidéos et aux trucages, un peu cheap, et à l’encens, un brin entêtant, la seconde reprend trait pour trait l’ambiance, y compris musicale, de son Electre / Oreste présenté à la Comédie-Française. Couverts de sang et de boue, voilà, une nouvelle fois, les acteurs aux prises avec les chorégraphies tribales de Wim Vandekeybus qui, en dépit de leur justesse symbolique, semblent leur donner plus de fil à retordre qu’aux comédiens-français. D’eux, on préférera alors retenir leur puissance de jeu à l’état brut, comme vectrice d’une déflagration de violence non feinte.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Age of Rage
d’après Euripide et Eschyle
Mise en scène Ivo van Hove
Avec Achraf Koutet, Aus Greidanus Jr., Chris Nietvelt, Gijs Scholten van Aschat, Hans Kesting, Hélène Devos, Ilke Paddenburg, Janni Goslinga, Jesse Mensah, Maarten Heijmans, Majd Mardo, Maria Kraakman, Birgit Boer, et les danseurs Bai Li Wiegmans, Katharina Ludwig, Flory Curescu
Adaptation Koen Tachelet, Ivo van Hove
Dramaturgie Koen Tachelet
Scénographie, lumière et vidéo Jan Versweyveld
Chorégraphie Wim Vandekeybus
Costumes An d’Huys
Composition musicale Eric Sleichim
Interprétation musicale Bl!ndman DrumsProduction International Theater Amsterdam
Coproduction Holland Festival, Bl!ndman, La VilletteDurée : 3h45, entracte compris
deSingel, Anvers
du 7 au 10 octobre 2021La Villette, Paris
du 27 novembre au 2 décembre 2021Internationaal Theater Amsterdam
du 8 au 23 décembre 2021
J’ai rarement vu quelque chose d’aussi pathétiquement mauvais au théâtre : gratuitement vulgaire, mal joué, crié, hystérique, aucune vraie trouvaillr thêatrale, à aucun moment rien n’évoque la tragédie grecque, rien ne convoque la moindre émotion (et à fortiori de catharsis ! ), la mise en scène, les décors n’ont aucune cohérence, bref ce qu’on appelle du grand foutage de gueule. Heureusement, l’entracte est arrivé et je suis délivré ! Adieu M. Van Hove..