François de Brauer est à la fois un comédien de troupe – il a joué dans des grands classiques sous la direction de Marc Paquien, Clément Poirée ou Michel Didym – et un comédien caméléon lorsqu’il joue seul en scène, comme dans La Loi des Prodiges, qui a été un énorme succès. Il renoue avec cette forme pour cette rentrée et présente Rencontre avec une illuminée au Théâtre 13. Voici son interview Soir de Première.
Avez-vous le trac lors des soirs de première ?
Oui. Mais plus en profondeur, c’est un apaisement. Le temps de la répétition qui se termine, on a fait de notre mieux armés de nos intimes convictions et il n’y a plus qu’à découvrir comment le public reçoit tout ça.
Comment passez vous votre journée avant un soir de première ?
Je baigne dans une sensation de rendez-vous « mystique ». Je ne suis pas croyant mais je convoque toute ma foi dans le théâtre et la vie les jours de première. Sinon, comme chaque jour de représentation, j’essaye de me préserver de ce qui pourrait m’ôter de l’énergie inutilement. Je mange bien. Je dors. Je flâne. Je lis. Paradoxalement, c’est parfois un effort de ne rien faire mais on est récompensé le soir. (Pensée pour mes ami(e)s comédien(ne)s qui sont parents et que cette dernière phrase doit agacer.)
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scène ? Des superstitions ?
Avant chaque représentation, je dis une réplique du premier spectacle « professionnel » (j’insiste sur les guillemets) que j’ai joué. Toujours la même réplique. Je ne peux pas vous la dire, elle perdrait de son pouvoir. Je la dis une seule fois, juste avant d’entrer en scène, en essayant d’être au plus près de mon humeur du jour. Sinon, quand je joue en solo, je m’échauffe beaucoup physiquement pour que… – j’aime cette phrase de Mnouchkine – « … Le corps soit à la hauteur de l’imaginaire. »
Première fois où je me suis dit « je veux faire ce métier ? »
J’ai commencé la scène, adolescent, dans les matchs d’improvisation. Le désir s’est affirmé à ce moment-là. Je n’ai pas le souvenir d’un déclic mais d’un millier de pulsions et de plusieurs modèles qui m’ont permis, à force, d’oser y songer. Mais je pensais être humoriste, je n’aurais jamais cru jouer des pièces de répertoire. Quand j’ai voulu ensuite quitter le lycée (où j’étais en échec) pour commencer le théâtre, ma mère m’a demandé solennellement : « Est-ce que tu as le feu sacré ? » J’ai répondu, entre deux sanglots : « Oui. » (Beaucoup de mysticisme dans mes réponses, le thème de mon spectacle Rencontre avec une illuminée n’y est sans doute pas pour rien.)
Premier bide ?
Dans les matchs d’improvisation, le bide est permanent. On entre en sachant qu’on va rater des impros. Mais le bide est dédramatisé immédiatement par le groupe.
Plus tard, j’ai joué une pièce de Werner Schwab dans une mise en scène assez radicale, un soir, la moitié de la salle est sorti. C’est une sensation désagréable mais, une fois de plus, c’était partagé, donc dédramatisé et nous aimions notre spectacle. Ensuite, en solo, quand une partie du public est franchement hostile et que le bide ne peut être partagé avec personne, ça, c’est vraiment dur. Comme être roué de coup. Sur les deux cent représentations de La loi des prodiges, j’en ai vécu deux comme ça, je m’en souviendrais toujours. Je me suis promis que ça ne m’arriverait pas une troisième fois. J’ai mon plan d’auto-sauvetage.
Première ovation ?
J’ai joué au Globe à Londres, grâce au metteur en scène Clément Poirée, dans Beaucoup de bruit pour rien. J’avais improvisé en répétition une scène de pantomime obscène que Clément avait gardé et que j’ai pu jouer sur le fameux balcon du Globe – celui de Juliette – au lieu de « Oh ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? », une bonne pantomime de fornication. Le Globe était hilare et a applaudit à la fin de la scène. Je planais et surtout je commençais à comprendre qu’il me fallait écrire en improvisant. Merci Clément ! Plus tard, après quelques représentations de La loi des prodiges, le public a commencé à se lever à la fin, d’abord une représentation sur deux environ puis presque tous les soirs. C’était si émouvant. C’est une récompense et un carburant incroyable.
Premier fou rire ?
Le premier je ne sais pas… Mais les fous rire, c’est merveilleux. Je ne jalouse jamais autant les acteurs que lorsque je regarde des bêtisiers ou quand je repère un fou rire dans un spectacle. En scène, c’est un phénomène fascinant, on peut les accueillir et les cacher derrière toutes sortes d’intentions. On peut cacher un fou rire derrière des pleurs. Un des premiers spectacles que j’ai joué, après le conservatoire. Une grande comédienne (que je ne nommerais pas) m’a repris sèchement après un fou rire en me disant : « Et oui ! C’est un métier. » C’était un peu rabat-joie mais, au fond, elle avait raison, il y a un moment où ce n’est plus à nous de rire des répliques drôles. L’amour du fou rire, c’est mon côté amateur.
Premières larmes en tant que spectateur ?
Je ne me souviens pas des premières. Je me souviens des dernières. Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, ce spectacle est un sommet, à tous points de vue. Je n’ai jamais autant pleuré au théâtre. Ce n’est pas tout à fait vrai, pas tout a fait les dernières. J’avais envie de me/vous remémorer ce spectacle, sans doute. J’ai pleuré d’autres fois depuis, je pleure souvent au théâtre. Cet art m’émeut tellement en soi. Les premières larmes, ça devait être dans les cours. Je me rends compte que, hors improvisation, j’allais peu au théâtre avant de commencer à en faire. En cours, quand un(e) camarade me touchait aux larmes, à la première heure, alors que j’étais encore entrain de touiller mon café, je me disais : « Quelle chance ! »
Première mise à nue ?
Dans les cours de théâtre aussi, c’est un passage inévitable, il me semble. Je suis pourtant pudique mais c’est fou les heures de répétitions qu’on passe en slip dans les cours de théâtre, comme dans les premiers spectacles d’école. Il y a moins de budget costume, c’est pour ça. La nudité est un costume efficace et économique.
Première fois sur scène avec une idole ?
Dans La Locandiera, je jouais avec Dominique Blanc et André Marcon, que j’admirais énormément et grâce à qui j’apprenais beaucoup. J’ai retrouvé André dans Le malade imaginaire, je ne me lassais jamais de l’écouter jouer. Avant… Au conservatoire, j’ai travaillé dans le cours de Dominique Valadié (que j’idolâtrais totalement) la pièce Si ce n’est toi dont elle avait joué le rôle féminin dans la mise en scène d’Alain Françon. Lors d’une répétition, pour indiquer à ma partenaire, elle a pris sa place et m’a lancé une réplique. Surpris, j’ai répondu puis elle a continué. Et petit à petit, on a déroulé toute la scène. C’était magique d’échanger quelques répliques avec elle. Avant… À peine entré au conservatoire, j’ai joué et chanté dans La vie parisienne avec mon demi-frère Damien Bigourdan, que j’idolâtre toujours. Avant… Dans les matchs d’impros, j’étais dans l’équipe d’Alban Ivanov, il avait déjà, adolescent, cette répartie éblouissante et je l’idolâtrais pour ça. Bon, j’arrête. J’ai beaucoup d’idoles, aussi parmi mes amis proches. Je pense à mon ami Louis Arene. J’essaye de travailler avec mes idoles tant que possible. (Les idoles, encore le mysticisme !)
Première interview ?
Je crois que l’exercice de l’interview en direct m’a plus terrorisé que n’importe quelle première. Parler de soi, de son travail, dans un temps déterminé, en s’adaptant au rythme et l’esprit d’une émission. Ça me semblait insurmontable. Ça va mieux, maintenant. Les premiers, c’était à la radio mais la première télé dans l’émission Quotidien m’a beaucoup marqué. Si on regarde bien, les premières secondes, on dirait une statue de cire. En sortant, quand l’attachée de presse m’a dit « 2 millions de téléspectateurs » j’ai eu un vertige. J’ai pensé : « Heureusement, qu’elle ne m’a rien dit avant ! »
Premier coup de cœur ?
Les humoristes. Que ma mère écoutait en boucle sur « rire et chansons » et dont on s’échangeait les VHS avec mes amis. Ce sont mes premiers textes sus par cœur.
Puis, mon père qui se trompe de salle de cinéma et nous emmène, malgré lui, voir The Mask. On découvre (avec mon frère Pierre) Jim Carrey : sa virtuosité, son inventivité. Je connais encore la version française par cœur. Puis je délaisse un peu les humoristes pour découvrir la littérature dramatique et ses inépuisables chefs-d’œuvre. Les auteurs deviennent mes nouvelles idoles. Molière, Tchekhov et Shakespeare dont j’aurais la chance plus tard de jouer quatre pièces. Puis, un jour, (grâce à mon professeur Christian Croset), la découverte de Philippe Caubère. Un homme seul en scène, drôle, virtuose mais également animé par un désir d’écriture fictionnel (quasi cinématographique), un lyrisme, et un amour de la littérature. Caubère est devenu, avec l’écriture seul en scène, l’influence la plus importante de mon travail. Tout naturellement, parce que Caubère dans le seul en scène, c’est l’équivalent de Proust en littérature. C’est une œuvre magistrale. Même ceux qui ne connaissent qu’une scène ou deux (comme moi n’ayant lu que quelques pages de La recherche…) savent que c’est inégalable.
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