Le prix Nobel de littérature 2023 a été décerné jeudi au dramaturge norvégien Jon Fosse pour « ses pièces novatrices ». De Patrice Chéreau au tg STAN en passant par Marc Paquien, ses pièces ont souvent été montées ces dernières années. Claude Régy, ayant été le premier à le découvrir, en montant Quelqu’un va venir en 1999 à Nanterre.
En France, une de celles qui a le plus étudié le théâtre du norvégien Jon Fosse est Marion Chénetier-Alev, maître de conférences en études théâtrale à l’École Normale Supérieure. À travers un article paru en 2005, dans la revue Études théâtrales, elle analyse certains éléments qui permettent d’appréhender et de comprendre le fonctionnement de son théâtre.
Le fonctionnement des pièces de l’auteur norvégien diffère de celui du drame au sens classique : action, nœud, coup de théâtre et dénouement. Chez Fosse, l’action disparaît, les émotions sont retenues et même en cas d’événement tragique, comme la mort, cela ne perturbe pas le déroulement de l’histoire. Jamais l’intrigue n’évolue, on est plongé dans une sorte de contemplation qui ne laisse aucune place à la crise ou à l’explosion de joie.
Les personnages de Jon Fosse semblent dépourvus de dynamisme. Ils sont assis, allongés, immobiles face à une fenêtre. Ils se retrouvent ici malgré eux et ne sont pas responsables de ce qui leur arrive. L’origine reste floue, lointaine, les personnages sont coupés de toute temporalité et leur histoire n’a ni commencement ni fin. De plus, Fosse ne personnifie pas vraiment ses héros, en général on ne sait rien d’eux, pas même leur nom. Tout au plus, nous connaissons les liens sociaux qui les rassemblent. Rien sur leur vie, rien sur leur but.
L’échange, le dialogue se construit autour du vide, des non-dits et du silence. Les paroles sont faites d’un vocabulaire pauvre, de lieux communs, de phrases inachevées. En 2009, Sophie Lucet cite, dans un article, le traducteur français de Jon Fosse : « On a dit que Racine faisait du théâtre avec 2 000 mots ; on a l’impression que Fosse en utilise à peine 200. Ce qui est chez lui tout à fait délibéré ». Cette pauvreté de vocabulaire est compensée par l’exigence discrète des didascalies. Ici et là, Jon Fosse indique la direction des regards, la posture des corps et comment ils occupent l’espace. Les mots, eux, reviennent, les phrases sont ressassées à l’infini, Jon Fosse crée ainsi des dialogues circulaires entre personnages qui ne communiquent pas, ne s’écoutent ni ne s’entendent pas. Vidée de son contenu informatif, l’écriture devient presque abstraite, comme la musique à laquelle Fosse fait référence lorsqu’il écrit : « je travaille comme un musicien qui joue sa partition », dit-il. Dans le théâtre de Fosse, rien ne se résout. On est ainsi tenu en état d’attente, en suspendant le flux mental provoqué par l’habituel flux verbal.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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