Dans HEN, la marionnette ne fait pas genre

Photo Christophe Raynaud de Lage

Créé en 2019 au Théâtre du Train Bleu à Avignon, HEN de Johanny Bert est un cabaret d’un genre spécial. Une revue pour un pantin et deux manipulateurs, où la question du genre est abordée de manière joyeuse et provocatrice.

Non, le personnage éponyme de HEN n’est pas une poule. Ni au sens propre, ni au figuré. Qu’est-il donc ? Difficile à dire. « Hen est un pronom suédois entré dans le dictionnaire en 2015 qui permet de désigner indifféremment une femme ou un homme (se prononce ‘’heune’’) », lit-on sur la feuille de salle du Théâtre du Train Bleu. Nous voilà bien avancés. Disons-le d’emblée, on ne sera pas plus renseignés à la fin du spectacle de Johanny Bert. Peut-être même le sera-t-on un peu moins. Car avec son corps de mousse, de bois, de métal et de latex, la marionnette imaginée et mise en scène par le comédien, marionnettiste et metteur en scène, s’autorise toutes les transformations. Seule interprète d’un « cabaret insolent », elle se promène entre les genres aussi bien qu’entre les répertoires musicaux. Pour notre trouble et notre joie.

C’est toute habillée de cuir, très rock, qu’apparaît d’abord la créature à la grande bouche et aux yeux bien ronds. Après quelques mots de présentation qui ne présentent pas grand-chose, elle entame sa première chanson : Éternelle de Brigitte Fontaine. Interprétée en direct par le violoncelliste Guillaume Bongiraud et par le pianiste, chanteur, compositeur, clown et acrobate Cyrille Froger installés dans l’ombre de chaque côté de la scène-castelet géante, cette introduction invite en douceur le spectateur à se délester de ses habitudes. À oser l’inédit, l’inconnu. À aller au-delà des évidences et des apparences. Prononcées par un pantin hypersexualisé, les paroles de la « première et dernière vraie punk de France » – titre d’un article des Inrocks du 5 juillet 2019, consacré à Brigitte Fontaine – s’ouvrent à des interprétations nouvelles. Elles préparent aussi aux très nombreuses mutations du spectacle.

Sans transition, les deux musiciens enchaînent avec une composition originale d’Alexis Morel, Il et elle elle et lui. Une petite balade sur la porosité des genres – « Je glisse d’il en elle / Je glisse d’elle en il », dit-elle par exemple –, suivie par deux autres compositions signées par Prunella Rivière et Laurent Madiot, puis par Tata Yoyo d’Annie Cordy. Manipulée par Johanny Bert lui-même et par le comédien Anthony Diaz, la marionnette est au diapason de la musique du spectacle. Elle change beaucoup, tout le temps. De femme plantureuse, elle devient garçon bodybuildé. Tantôt romantique tantôt aussi brute que les matériaux qui la constituent, elle échappe à toute norme et se déploie hors des identités connues. Autrement dit, elle réalise ce que font les artistes de cabarets transgenres, mais avec les lois physiques qui sont les siennes. Avec beaucoup moins de limites.

« Fruit d’un travail sur les questions d’identités et de genre confrontée à une recherche sur les origines d’un théâtre de marionnettes subversif », HEN questionne ainsi autant les arts de la marionnette que la capacité de l’individu à se définir selon ses désirs. Qu’ils soient ou non partagés par la majorité. Au centre de la pratique de Johanny Bert depuis la création de sa compagnie Théâtre de Romette implantée à Clermont-Ferrant, la relation homme-marionnette est pleine d’ambiguïtés qui suscitent la pensée. Nul besoin, donc, d’autres mots que ceux des morceaux : à sa manière hybride, aussi ludique que révoltée, HEN ouvre une riche réflexion sur le fantasme et sur la liberté.

Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr

Hen
Conception, mise en scène et voix de Hen Johanny Bert
Comédiens marionnettistes Johanny Bert et Anthony Diaz
Collaboration mise en scène Cécile Vitrant
Arrangements et musique live Guillaume Bongiraud (violoncelle électro-acoustique) et Cyrille Froger (percussionniste)
Auteurs compositeurs Brigitte Fontaine, Prunella Rivière, Laurent Madiot, Pierre Notte…
Fabrication des marionnettes Eduardo Felix
Création costumes Pétronille Salomé
Assistante costumes Carole Vigné
Stagiaires costumes Lune Forestier, Solène Legrand et Marie Oudot
Travail vocal Anne Fischer
Dramaturgie Olivia Burton
Assistante manipulation Faustine Lancel

Production Théâtre de Romette
Co-production Le Bateau Feu – Scène Nationale Dunkerque, La 2Deuche – Lempdes
Partenaires et soutiens La Cour des Trois Coquins – scène vivante de Clermont-Ferrand, Le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette à Paris, Le Carreau du Temple à Paris – Accueil studio

Durée : 1h05

Théâtre de l’Atelier
du 9 au 27 mai 2023