
Zoé d’Olivier Choinière par Hassane Kassi Kouyaté © Christophe Péan
Créée à la Scène nationale d’Aubusson dans le cadre des Francophonies en Limousin – Zébrures d’automne, la pièce écrite par Olivier Choinière et mise en scène par Hassane Kassi Kouyaté déploie une réflexion lumineuse sur le défi de l’existence.
Le théâtre est grand lorsqu’il offre aux spectateurs une somme infinie de questionnements. Zoé ouvre l’interstice propice à la pensée dans ce qu’elle a de plus noble : partir de sa propre situation, tâtonner en chemin, pour en tirer les enseignements permettant une meilleure compréhension des problèmes qui se posent au monde.
Lumière tamisée et jingle de flash info ; le spectacle s’ouvre sur un communiqué. Alors qu’une grève frappe les collèges (le nom donné à l’Université au Québec), une étudiante a déposé une injonction à la Justice pour que reprennent les cours. Un juge a tranché. Sept disciplines sont concernées, dont l’enseignement de « Philosophie : éthique et politique. » Sur le plateau, un vide à gauche, un vide à droite, une imposante arche noire en fond, à peine visible, et au centre, un cadre délimitant simultanément une salle de classe et la discussion qui va naître. Dans cette chambre noire de la pensée, deux comédiens, lumineux et justes, font vivre cette philosophie pleine d’acuité : Adélaïde Bigot et Patrick Le Mauff, respectivement Zoé, jeune étudiante de 18 ans à l’origine de l’injonction et Luc, professeur de philosophie quinquagénaire. L’une aspire à trouver sa place dans la société, a soif d’apprendre pour se former et devenir médecin. L’autre a la sagesse de sa fonction, rodé à la vie grâce à ses années d’expérience. Contraint par la justice pour l’un, satisfaite d’être présente pour l’autre, les deux êtres apprennent au fil des heures de cours passées ensemble à se connaître et à douter. Seul un garde du corps, présent « par mesure de sécurité », trouble ce tête-à-tête.
Dehors, la grève gronde, perceptible par les bruits sourds des manifestants – les camarades de Zoé, dont aucun n’a souhaité reprendre le chemin des bancs du Collège. La discussion démarre par une confrontation. Porte fermée vs porte ouverte. Porte fermée l’emporte. Le juge l’a décidé. S’ensuivent les présentations : Luc, du latin « brillant », demande à Zoé, du latin « vie », de réfléchir à l’étymologie de son prénom, du mot philosophie, au sens de l’amitié, au rapport à l’existence, au rôle de l’école. Devant cette jeune étudiante au comportement révolté, en sweat, pantalon cargo kaki, et boots noirs de militaire, l’universitaire dégaine sa posture de sondeur en guise de bouclier. Tout devient matière à question et réflexion.
C’est le fort de ce spectacle. D’un échange somme toute assez banal surgit une pensée affûtée sur les choix que nous faisons et leurs conséquences. Faire la grève ou poursuivre son quotidien ? Comment mesure-t-on notre réussite ? Nos actions sont-elles le résultat d’un choix ? Choisis-t-on nos pensées ? Nos valeurs ? La majorité a-t-elle toujours raison ? Les sessions de cours s’enchaînent et font progresser une réflexion globale sur la capacité à être humain.
La pièce fait écho à l’actualité des dernières années, marquée par de nombreux épisodes de contestations sociales, une montée en puissance du mouvement écologiste et une jeunesse de plus en plus consciente des enjeux contemporains. Loin d’avoir défini des personnages caricaturant un camp de pensée ou un autre, Olivier Choinière a choisi la complexité. Zoé ne demande qu’à étudier, c’est son droit. Comme ses camarades ont le droit de faire grève. Ni plus, ni moins. « Poursuivre mes études est pour moi la meilleure façon de contribuer à ma société », argue la jeune femme. En face, son professeur penche du côté des manifestants. Mais aucun des deux n’est fermé sur ses positions. Ici, le dialogue forme la clé d’une entente et d’une compréhension de deux visions du monde, apparemment irréconciliables mais finalement compatibles.
La mise en scène d’Hassane Kassi Kouyaté laisse toute la place aux spectateurs pour se positionner et recevoir le propos de la pièce. Laquelle tente de réconcilier le « Je » avec les Autres. En se questionnant d’abord soi, en ayant conscience de ses propres limites, ne fait-on pas progresser sa propre liberté ? Et ainsi celle des autres ? C’est l’une des nombreuses questions que nous soumet Zoé, à nous, êtres humains.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Zoé d’Olivier Choinière
Mise en scène Hassane Kassi Kouyaté
Avec Adélaïde Bigot, Patrick Le MauffAssistante à la mise en scène Béatrice Castaner
Création lumière Cathy Gracia
Costumes Anuncia Blas
Production Compagnie Deux temps trois mouvements / Coproduction Théâtre Jean Lurçat – Scène Nationale D’Aubusson, Le Manège – Scène Nationale de Maubeuge, L’Artchipel – Scène Nationale de Guadeloupe, Théâtre de l’Union – Centre Dramatique National du Limousin, Les Francophonies – Des écritures à la scène / Avec le soutien de l’OARA.
Durée 1h15
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