Patron du Toneelhuis d’Anvers, Guy Cassiers signe une adaptation magistrale des Bienveillantes, le roman choc de Jonathan Littell, prix Goncourt 2006, avec Hans Kesting saisissant en bourreau fragile.
Le livre vendu à plus d’un million d’exemplaires dans toute l’Europe fut dès sa parution un succès inattendu qui n’en finit pas de susciter la polémique. Il raconte l’Holocauste du point de vue du bourreau plutôt que des victimes à travers le témoignage inventé de Max, officier de la SS, éminent bureaucrate, Obersturmführer distingué, organisateur et exécutant « par devoir » de l’extermination des juifs pendant la Seconde Guerre. Passionné par ce sombre pan de l’histoire mondiale, Cassiers avait déjà traité du passé nazi dans son Triptyque du pouvoir où était mise en scène la figure d’Hitler. Des années plus tard, il s’empare du texte fleuve de Littell dans une adaptation théâtrale qui tient toutes sa force et sa beauté dans son dépouillement.
Maximilien Aue se présente face à la salle encore éclairée. Hans Kesting lui prête sa silhouette de géant, sa voix grave et posée, un regard éperdu, un geste maladroit, un calme sidérant. Il déclare, solennel : « je suis comme vous » ; ce qui provoque autant de gêne que d’empathie, de terreur que de pitié. Complexe, l’homme est lecteur de Platon, amateur de vin et de musique classique, capable de s’émouvoir d’une pièce de Bach jouée au violon par un enfant juif ou de la beauté virile d’un jeune corps masculin. Il est passionné d’absolu et anxieux de la mort.
Le tour de force que réussit à merveille l’immense acteur hollandais est de donner à voir la lucidité perturbante du personnage qui rend compte de ses propres faits et gestes réalisés en pleine conscience mais surtout de révéler sa part d’humanité paradoxale et bouleversante. Moins montré comme un monstre démoniaque que comme un individu sensible, à la vulnérabilité bien palpable, en proie au doute, au tourment, délivrant de ses actes abominables non pas un récit clinique et froid mais un chant douloureux et torturé, il vous saisit.
La mise en scène de Guy Cassiers s’apparente à une cartographie plastique et mentale de la part sombre du protagoniste. Un long rail de chemin de fer traverse la scénographie de Tim Van Steenbergen qui évoque de façon métonymique la Shoah et le contexte concentrationnaire. Au fond du plateau, claquent les portes grises et rouillées d’un mur de casiers rappelant aussi bien les vestiaires des camps que les crématoriums. La froideur funeste du lieu contraste avec les puissants faisceaux lumineux des éclairages surplombants. On pénètre, grâce à la projection d’images vidéos, dans l’intériorité du personnage insaisissable tandis que se dévoilent les visions cauchemardesques qui le hantent sans grandiloquence spectaculaire. Impressionnant.
Christophe Candoni – sceneweb.fr
LES BIENVEILLANTES
texte Jonathan Littell
adaptation Guy Cassiers et Erwin Jans
mise en scène Guy Cassiers
création française
avec Katelijne Damen, Kevin Janssens, Johan Van Assche, Abke Haring, Hans Kesting, Bart Slegers, Jip van den Dool, Aus Greidanus jr., Alwin Pulinckx, Vincent van Sande
dramaturgie Erwin Jans
costumes et décor Tim Van Steenbergen
conception son Diederik De Cock
conception vidéo Frederik Jassogne
production Toneelhuis, Toneelgroep Amsterdam (NL)
en collaboration avec le phénix scène nationale Valenciennes (FR), Maison de la Culture d’Amiens (FR), Istanbul Theatre Festival, Romaeuropa Festival (IT), Festival Temporada Alta (ES)
avec le soutien de Creative Europe Progamme of the European Union
durée 3h30 environ, pause incluseNouveau Théâtre de Montreuil
13 > 16 oct 2016
19h30 (13, 14, 15 oct)
16h (16 oct)
salle Jean-Pierre Vernant
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