Dans leur pièce présentée au festival d’automne à Paris, Mohamed El Khatib et Valérie Mréjen convient six gardiens et gardiennes de musées à raconter leur métier. Le discours produit porte un regard peu flatteur sur les visiteurs mais témoigne d’une réelle sensibilité artistique et humaine.
C’est au Centre Pompidou, dans une salle aux murs blancs du célèbre temple de l’art moderne et contemporain, que se donne Gardien Party. La première collaboration de Mohamed El Khatib et Valérie Mréjen déplace opportunément le théâtre dans une galerie de musée pour faire des gardiens ses acteurs. Habitués au plus strict mutisme dans les lieux d’exposition qu’ils surveillent sans se faire remarquer, ils prennent la parole et livrent un propos parfois dur mais aussi très drôle, souvent amusé, distancié, désabusé, sur leur activité professionnelle. Comme l’a très justement montré Tatiana Trouvé dans les sculptures actuellement exposées chez François Pinault à la Bourse de commerce, le gardien de musée est une figure aussi discrète qu’incontournable, conjuguant la présence et l’absence. Installés en toute simplicité sur un rang de chaises alignées qui fait face aux gradins de spectateurs, Margarita, Seung Hee, Carolina, Robert, David, plus tard Jean-Paul, partagent, dans la langue et le style qui leur appartiennent, les anecdotes issues de leur quotidien sédentaire et routinier au Musée russe de Saint-Pétersbourg, au Moma à New York, ou bien au Louvre à Paris entre autres.
Ce qui s’exprime d’emblée est un rapport particulier au temps. Attendre des heures entières peut sembler long et éprouvant, physiquement, psychiquement. Mais, non sans philosophie, l’un d’eux déclare : « Quitte à s’ennuyer, autant le faire dans un musée ». Si le temps leur semble étale, invariant, il contraste fortement avec celui des visiteurs souvent bien trop hâtifs et pressés. Se voir absurdement demander « Que voir au Louvre en cinq minutes ? » laisse à l’évidence interloqué. Si bien que le visiteur éclairé qui demeure longuement devant l’œuvre exposée passe quasiment pour quelqu’un de suspect.
Comment tromper l’ennui ? En regardant inlassablement les gens. Ceux-ci forment un spectacle peu avare en excentricité, plutôt insolite et parfois décevant. Plus consommateur qu’amateur, le public décrit est obnubilé par l’image. Pas celle peinte sur la toile qui invite à être contemplée mais plutôt celle reproduite en photo ou sur selfie. Il s’interroge, circonspect ou moqueur, sur le message, le sens délivré. Il peut aussi dire n’importe quoi avec une totale assurance. Il est parfois profondément bouleversé. Ou bien totalement désintéressé. Le musée s’apparente davantage à un lieu de promenade, un parc d’attractions, ce que regrette son personnel.
Les gardiens racontent aussi leur expérience vécue du mépris de classe tant ils sont pas ou mal considérés. Une femme suédoise s’est déjà faite importuner. Être gardien de musée n’exclut pas d’avoir fait des études et même d’être surdiplômé. Certains sont eux-mêmes artistes. Mais la place qui leur est assignée impose le silence. Le commentaire savant étant réservé aux guides-conférenciers. Eux se contentent alors d’indiquer la direction des toilettes et de sommer le visiteur indiscipliné face aux œuvres de ne pas les toucher ! Eux décrivent la chance immense de pouvoir profiter d’un lien d’intimité, de familiarité quasi amicale ou amoureuse avec les œuvres qu’ils côtoient de près.
Sur le plateau, les rôles s’inversent magnifiquement. Interchangeables et négligés dans leur métier, les gardiens jouissent ici d’une pleine visibilité. Ils attirent et retiennent l’attention, affichent leur diversité, prennent la parole, sont écoutés et regardés, au point de susciter une sympathie, une empathie que le geste théâtral de Valérie Mréjen et de Mohamed El Khatib sait si bien produire et favoriser. En se dispensant de grands moyens ou effets et en se focalisant sur l’ouverture à l’autre, il se présente comme une véritable rencontre humaine.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Gardien Party
Conception et réalisation, Mohamed El Khatib, Valérie Mréjen
Avec 7 agents de surveillance de musées
Image, Yohanne Lamoulère
Montage, Emmanuel Manzano
Scénographie, Louise Sari
Assistant projet, Vassia Chavaroche
Collaboration linguistique, Marianne Segol, Iris Raffetseder, Ludmila Anisimova
Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris), le Théâtre de la Ville-Paris, le Théâtre de Choisy-le-Roi et le Festival d’Automne à Paris sont coproducteurs de ce spectacle.
Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris), le Théâtre de la Ville-Paris et le Festival d’Automne à Paris le présentent
en coréalisation.
Coproduction Malraux, scène nationale Chambéry Savoie ; Théâtre National de Bretagne (Rennes) ; Théâtre Garonne – scène européenne (Toulouse) ; Le Grand T – Théâtre de Loire-Atlantique (Nantes) ; TANDEM, scène nationale (Douai-Arras) ; Théâtre de Choisy-le-Roi – scène conventionnée d’intérêt national, en coopération avec PANTHEA ; Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris
Coréalisation Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris
Avec l’aide du Festival ActOral et Montévidéo et du Théâtre Vidy-Lausanne
Avec le soutien du CNAP – Centre National des Arts Plastiques (Paris), de l’Institut français dans le cadre du programme Théâtre Export
En partenariat avec le Museum Moderner Kunst Stiftung Ludwig Wien (Vienne), le Musée national d’art moderne Centre Georges-Pompidou (Paris), le Museum of Modern Art (New York), le MUDO – Musée de l’Oise (Beauvais), le Moderna museet (Stockholm), le Musée de l’Ermitage (Saint-Pétersbourg), les Musées des beaux-arts d’Orléans et de Nantes, le Musée d’art contemporain de Marseille, le Musée cantonal des beaux-arts (Lausanne)
Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings
En partenariat avec France InterFestival d’Automne à Paris
Centre Pompidou
15 au 26 Septembre 2021MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne
3 au 5 Décembre 2021
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