Au Théâtre de la Bastille, François Orsoni transforme l’ultime pièce de William Shakespeare en satire maladroite sur la politique-spectacle, et se laisse prendre à son propre piège.
Pour François Orsoni, Coriolan revêtait, à n’en pas douter, une importance particulière. Après La Mort de Danton de Georg Büchner et Monsieur le député de Leonardo Sciascia, l’ultime pièce de Shakespeare devait permettre au metteur en scène de clore, supposément en beauté, son triptyque consacré au théâtre politique et, plus spécifiquement, à la mécanique du pouvoir. Ce choix avait tout du pari tant cette œuvre shakespearienne, moins connue que d’autres, s’avère complexe à appréhender dans sa façon d’entremêler les genres, de cultiver les ambiguïtés et d’entretenir une large part de mystère. Contrairement à Ivo van Hove qui, avec intelligence, avait décidé de l’intégrer dans un ensemble plus large (Tragédies romaines) comprenant Jules César et Antoine et Cléopâtre, et d’en expurger les passages guerriers, François Orsoni a eu l’audace de s’y attaquer frontalement, sans en passer par la bande. Las, bien loin de la finesse d’esprit dont avait su faire preuve le premier, le second s’abîme dans un théâtre boursouflé et confus qui noie le texte originel dans un trop-plein d’intentions, le plus souvent maladroites.
D’entrée de jeu, avant même que le premier mot ne soit prononcé, le metteur en scène inscrit Coriolan dans une dialectique, a priori féconde, entre la politique et le spectacle. Le plateau du Théâtre de la Bastille prend alors la forme d’une arène hybride, à mi-chemin entre une assemblée romaine décrépie et une boîte de nuit vulgaire, où les colonnes antiques côtoient un palmier en plastique. Aussi étonnant puisse-t-il paraître, ce mariage de la carpe et du lapin matérialise les contradictions d’une République romaine prise en étau entre les aspirations démocratiques et le starification politique, entre la volonté du peuple – savamment canalisée – et la tentation de l’homme providentiel. Comme Jules César après lui, Caius Martius fait partie de cette espèce-là. Auréolé de sa victoire contre les Volsques qu’il vient de mettre en déroute, le militaire revient à Rome au fait de sa gloire qui lui vaut bientôt le surnom honorifique de Coriolan. Modèle de virtus romana, refusant les honneurs et minimisant ses blessures, il est aussi droit dans ses bottes qu’impétueux, et pétri d’ambiguïtés. Pressé de se présenter aux élections consulaires pour engranger les fruits politiques de son aura nouvelle, il s’y résout, à contre-coeur, mais refuse de jouer le jeu jusqu’au bout et de se soumettre, en plus de celui du Sénat, au suffrage de la plèbe qu’il méprise autant que ses tribuns. Après un discours tempétueux où il voue le système démocratique aux gémonies, Coriolan passe alors du statut de génie à celui d’ennemi de la Cité, bientôt contraint à l’exil, après avoir échappé de peu à la mort.
Réalisée avec doigté par Shakespeare, cette plongée duale dans les travers de la démocratie, qui peut, parfois, conduire à l’avènement du plus populiste, du plus offrant et/ou du plus corrompu, et dans les fondations contradictoires d’un homme, aussi vertueux sur le champ de bataille que discutable dans sa conception de la chose politique, est conduite à marche forcée par François Orsoni. Malhabilement resserrée, l’oeuvre shakesperienne est réduite à sa portion congrue, et perd en lisibilité et en finesse ce qu’elle gagne en efficacité. Ressort de son adaptation un ensemble pour le moins confus où la quinzaine de personnages d’origine est condensée en six figures principales : Coriolan, sa mère Volumnia, le patricien tempéré Ménénius, le chef des Volsques Aufidius, le peuple et un tribun de la plèbe. Parfois difficilement identifiables, tous donnent l’impression d’avoir été privés de leur complexité, et de foncer tête baissée, tels des boxeurs fous, sur le ring que le metteur en scène leur offre afin de les voir s’écharper.
Mal dirigés, régulièrement en difficulté et approximatifs, les comédiens se font alors plus criards que convaincants, et peinent à ne pas caricaturer ceux qu’ils entendent incarner. Tandis que Thomas Landbo échoue à donner du relief au sage Ménénius et que Jean-Louis Coulloc’h semble submergé par l’hydre populaire qu’il doit endosser, Alban Guyon réduit Coriolan au statut de beauf déguisé en rappeur et Estelle Meyer transforme sa mère, Volumnia, en starlette-marâtre survitaminée. Il est toutefois difficile de leur en vouloir totalement, tant la direction que leur propose François Orsoni paraît erratique et fondée sur une série de fausses bonnes idées, qui masquent les enjeux de la pièce plutôt que de s’employer à les révéler, et à les interroger. Des bruitages live, incongrus et éphémères, aux apartés qui, sans substance, virent au grotesque, des chansons braillardes à l’expression corporelle inutile et bas de gamme, tout concourt à entretenir une agitation aussi vaine que permanente, et à alimenter une Grosse Bertha scénique qui, en matière théâtrale, mais également intellectuelle, accouche d’une bien maigre souris.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Coriolan
Texte William Shakespeare
Traduction Jean-Michel Déprats
Mise en scène François Orsoni
Avec Jean-Louis Coulloc’h, Alban Guyon, Thomas Landbo, Estelle Meyer, Pascal Tagnati
Bruitage Eléonore Mallo
Lumières François Orsoni, Antoine Seigneur Guerrini
Scénographie et costumes Natalia Brilli
Création sonore Valentin ChancelleProduction Théâtre de NéNéKa
Coproduction Spaziu culturale Natale Rochiccioli – Cargèse, Théâtre d’Ajaccio, Théâtre de la Bastille, Théâtre d’Arles – Scène conventionnée d’intérêt national – art et création – nouvelles écritures, Le Liberté – Scène nationale de Toulon, Théâtre de Propriano
Avec le soutien de la SPEDIDAM et de la Comédie de Reims, Centre dramatique nationalLa compagnie est soutenue par la collectivité de Corse et la ville d’Ajaccio.
François Orsoni a été sélectionné par l’Académie de France à Rome – Villa Medicis pour une résidence de recherches autour du projet Coriolan.Durée : 2h
Théâtre de la Bastille, Paris
du 12 septembre au 7 octobre 2022
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