Metteuse en scène et comédienne jouant sous la direction d’Anne Courel, Richard Brunel, Maxime Mansion ou, encore, Vladimir Steyaert, Maïanne Barthès défend un théâtre au présent se saisissant de questions politiques. Sa dernière création Je suis venu.e pour rien s’intéresse à l’ennui et capte avec intelligence le dérisoire et l’absurde pour proposer des échappées poétiques, ludiques ou politiques.
Comme tant d’autres équipes, sa nouvelle création a été décalée. Je suis venu.e pour rien est enfin créée à La Comédie de Saint-Étienne
Construit sous forme de séquences, le spectacle, qui réunit quatre comédiens au plateau, pose en parallèle plusieurs situations. Dans l’une, des salariés dont l’entreprise est vouée à la fermeture vivent les dernières heures dans ses murs – évoquant la lutte avortée pour la défense de leur emploi, leurs espoirs, comme leurs projets pour le futur. Dans l’autre, un groupe d’adolescents occupant un abribus passe le temps – ou le regarde passer, c’est selon. Alternant entre ces deux situations – et s’autorisant des échappées vers d’autres (un enterrement interminable, une discussion où l’un des interlocuteurs monopolise outrageusement la parole, etc.), le spectacle convoque toute une palette d’instants d’attente, d’ennui, de doute, de désœuvrement, des plus triviaux aux plus exceptionnels
S’étant notamment nourrie de deux textes, Le Champignon de la fin du monde, sur la possibilité de vivre sur les ruines du capitalisme de l’anthropologue Anna Tsing, et de Constellations, trajectoires révolutionnaires du jeune XXIe siècle du collectif Mauvaise troupe, Maïanne Barthès a souhaité explorer « les contradictions de l’ennui. On nous intime dans notre société d’optimiser les moments de rien, de vide et nos espaces intérieurs sont colonisés de manière assez effrayante. Selon comment l’on pose ces expériences, elles peuvent être source de créativité ou d’angoisse. Je voulais exploiter cette ambivalence, le fait que l’ennui peut renvoyer à des sentiments joyeux comme désagréables.
À chaque séquence du spectacle, l’inertie s’estompe et l’instant de vacance éprouvé devient source d’imaginaire, voire, de réflexion. Qu’il s’agisse de l’invention de jeux absurdes ou poétiques pour les ados de l’abribus ou d’échanges sur les désirs intimes animant les salariés, ce qui se joue est une manière de se ressaisir de sa vie. S’intéressant à cette question depuis longtemps – l’un de ses tout premiers spectacles, Je hais les voyages et les explorateurs (créé en 2009) abordait déjà l’ennui – Maïanne Barthès explique avoir souhaité « partir de rien et voir ce qu’il se passe pour un acteur. J’aime bien les sorties de routes, prendre les chemins de traverse. Avec les souvenirs d’enfance, l’imaginaire est le territoire le plus vaste, le plus créatif, et celui qui fait le plus peur en même temps. » En permanence affleure derrière l’humour ou le dérisoire diverses interrogations sur la manière dont on investit son quotidien, dont on assume ses choix, et sur la façon dont la capacité d’invention collective permet de s’arracher à un état d’écrasement
Rondement mené dans sa direction d’acteurs – les excellents interprètes étant dirigés au cordeau –, Je suis venu.e pour rien est aussi modeste formellement qu’ingénieux et ciselé dans sa manière de faire théâtre de tout bois. Ce projet qui s’est construit dans la durée est, également, le premier dont Maïanne Barthès signe l’écriture. Un cheminement qui s’est fait progressivement, la metteuse en scène ayant, depuis ses débuts à la fin des années 2000, majoritairement monté des textes suite à des commande (aux auteurs Emmanuel Darley, Lancelot Hamelin ou encore Lucie Vérot). Interrogée sur ce principe de commande, elle confie aimer « l’idée que cela parte du plateau. En tant que comédienne, je crois à la force de propositions et aux intuitions des acteurs. Travailler avec des auteurs permet de dénouer, d’échanger avec eux au fil des répétitions. C’est très enrichissant et je me retrouve vraiment dans cette construction collective.
Mais quelle que soit la forme prise par le projet, il s’agit bien, toujours, de défendre les écritures contemporaines, autant qu’un théâtre s’intéressant à des enjeux politiques. Ses deux autres spectacles en cours – l’un déjà créé, l’autre à venir en 2022 – confirment cette vigilance. Le premier, Prouve-le, né en 2017 dans le cadre du dispositif Controverses impulsé par la Comédie de Valence – et récompensé en octobre 2020 du Prix Célest’1 – s’intéresse aux théories du complot. « La Comédie nous a commandé, à l’autrice Lucie Vérot et à moi-même, un spectacle tout public sur ce thème. Ayant fait un jour un covoiturage avec une prof d’histoire-géo qui m’a racontée être en arrêt maladie car l’une de ses classes pensait qu’elle était un vampire, nous sommes parties avec Lucie de cette histoire. » Écrit suite à une résidence dans un collège de Valence, Prouve-le déplie les mécanismes de désinformation, « mettant au jour ces fonctionnements pour mieux s’en défier.
Attendant la reprise de ce spectacle en juin aux Célestins, Maïanne Barthès commence également à plancher sur une prochaine création. Réunissant les jeunes acteurs issus de la dernière promotion du GEIQ théâtre, Le Plateau plongera dans l’univers de la cuisine, un champ professionnel, comme celui de la culture, où les précaires sont légion. « C’est un lieu où, pour les restaurants étoilés, à quelques mètres peuvent travailler des personnes sans-papiers et d’autres dépenser en un repas le salaire mensuel d’un plongeur. L’éventail social y est très vaste, les inégalités, la compétition et la misogynie s’y exercent fortement. La cuisine peut être vue comme un modèle réduit de notre société, de la manière dont elle fonctionne. Et comme le théâtre, c’est un art du simulacre… » Imaginé avec la présence d’amateurs (formés pour ces métiers de la restauration), Le Plateau confirme la vigilance d’une artiste quant à la manière dont les structures politiques, sociales, ou encore institutionnelles nous façonnent, nous agissent. Ainsi que sa volonté par son geste théâtral de déconstruction de donner à voir les modes de résistance possible..
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Je suis venu.e pour rien
Ecriture collective Cie Spell Mistake(s)Mise en scène : Maïanne Barthès
Avec : Slimane Majdi, Cécile Maidon, Baptiste Relat et Cécilia Steiner
Lumières : Sylvain Brunat
Son : Clément Rousseaux
Scénographie : Alice Garnier-Jacob
Collaboration dramaturgie et écriture chorégraphique : Estelle OlivierCoproduction Théâtre de Roanne
Comédie de Saint-Etienne
du 16 au 26 novembre 2021
20 h / sam. 20 • 17 h / relâche dim. 21
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