Construite comme un puzzle dont chaque représentation est un morceau différent et unique, la création originale et collective de la compagnie Théâtre déplié Les pièces manquantes ne manque pas d’interroger.
Au théâtre de La Tempête où Adrien Béal a déjà présenté un puissant Pas de Bême, on retrouve une forme singulière de théâtre déroutant et questionnant, qui repose sur l’alliance de deux principes fondateurs : une apparente simplicité, principalement formelle dans la mesure où est privilégiée sur le plateau une économie drastique de moyens – absence totale de décor et d’apparat -, et une certaine complexité, cette fois plutôt dans le contenu qui interpelle avec intelligence et suscite assurément le débat. C’est l’art et la manière d’Adrien Béal et de sa proche équipe d’acteurs que de parvenir à bâtir, sans aucun excès de volontarisme, un théâtre qui contient une certaine forme de radicalité.
En bousculant plus que jamais les codes habituels de la création d’un spectacle et en déjouant aussi les attentes des spectateurs, le Théâtre déplié s’est lancé cette rentrée dans une création qui se construit à l’infini. Ainsi, chaque soir, la représentation donnée ne se livre pas comme un ensemble mais juste par bouts, fragments, constitutifs d’un tout beaucoup plus large, inaccessible dans le temps qui lui est imparti. Chaque soir, assistant à un moment unique, comparable au maillon d’une grande chaîne qu’il constitue, le spectateur fait le délicat travail d’appréhender les pleins et de combler les vides. De fait, les signataires des Pièces manquantes assument nécessairement la dimension lacunaire, tronquée de leur dramaturgie. Ils revendiquent même l’égarement et par conséquent toute l’instabilité, la perturbation, qui abondent avec.
Ces pièces manquantes se déploient comme des micro-fictions au cours desquelles sont abordées des situations pouvant relever de la vie quotidienne mais irriguée d’une certaine étrangeté. Car, lorsqu’il est question de la mystérieuse disparition d’adolescents, de rumeurs et de légendes diverses, de dangers et de jeux d’illusion au sein d’une forêt profonde, d’une histoire d’amour entre une professeure de musique et son élève âgé de quinze ans, de l’apparition d’un bébé sur la banquette arrière de la voiture d’un couple, ce sont évidemment l’inexplicable et l’inexpliqué qui prennent aussitôt le dessus et entraînent des abîmes de questions. La capacité à discuter, à mettre en jeu le débat, constitue la grande force de la proposition. Celle-ci est d’abord favorisée par l’espace tri-frontal qui permet une proximité, une intimité, entre la salle et les acteurs, et une adresse plus directe du propos, puis, ensuite, par la vérité qui émane du jeu d’acteurs que l’on doit autant au travail d’improvisation qui nourrit continuellement l’écriture de la pièce qu’à la précision de la direction.
La parole, ferme ou hésitante, le besoin de confrontation et de justification, tout cela occupe une large place dans ce qui se donne à voir et à entendre sur scène. Non pas pour asséner une vérité mais au contraire pour décrire l’incompréhension et l’incommunicabilité entre les êtres et la violence latente qui vient s’y nicher en creux sans jamais aboutir à une trop simple condamnation. Sans univocité donc, les choses bougent, évoluent, s’interrogent perpétuellement dans Les Pièces manquantes. Un sentiment de frustration peut néanmoins se faire sentir, justement face à leur inévitable irrésolution.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les pièces manquantes, puzzle théâtral
Création collective
mise en scène Adrien Béal
collaboration, production Fanny Descazeaux
avec Pierre Devérines, Boutaïna El Fekkak, Adèle Jayle, Julie Lesgages, Etienne Parc, Cyril Texier
et une fanfare amateure composée d’adolescent.e.s
direction musicale François Merville scénographie Anouk Dell’Aiera
costumes Benjamin Moreau lumières Jean-Gabriel Valot régie générale Martin Massier
administration de production Bérengère Chargé relations presse Agence Plan Bey
A partir du puzzle inventé à L’Atelier du plateau en juin/juillet 2019 pour Féria, Festival à débordement,
en partenariat avec le Conservatoire Jacques Ibert du XIXème arrondissement.
production Compagnie Théâtre Déplié et l’Atelier du Plateau
La Compagnie Théâtre Déplié est associée au Théâtre Dijon Bourgogne, CDN et au T2G – Théâtre de
Gennevilliers, et conventionnée par le Ministère de la Culture – DRAC Ile de France.Théâtre de la Tempête
17 septembre – 18 octobre 2020
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