Tentative de saisie d’une mère dépressive par sa fille, Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit passe difficilement la rampe malgré tout le talent de la comédienne Elsa Lepoivre. Une pièce en plus dans le dossier des rapports complexes entre la littérature et le théâtre.
Jusqu’ici la critique est unanime et l’on va endosser le rôle du rabat-joie, jouer la fausse note. On ne peut pourtant qu’adhérer à l’ensemble des analyses. Dans son adaptation pour la scène du récit familial de Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit, Elsa Lepoivre est remarquable. Précise, nuancée, toute en retenue et en délicatesse. Son tempérament s’accorde à merveille à la prose élégante de l’autrice à succès qui, dans ce texte, cherche à résoudre autant que faire se peut l’énigme de sa mère, bipolaire, qui se suicide après une vie sans joie, et les difficultés littéraires et problèmes familiaux que produit cette entreprise.
La comédienne et l’autrice ont travaillé ensemble à l’adaptation. Il s’agissait de réduire 500 pages à 50, décimation littéraire qui les conduit à se focaliser sur la jeunesse de Lucile, mère de l’autrice, émaillée de nombreux drames. Deux morts par suicide autour d’elle, et une par accident. Vraisemblablement un viol par son père, Charles. La naissance d’un petit frère trisomique qui fait à leur égard figure de bonne nouvelle. Très belle quand elle était petite – modèle dans les magazines – Lucile portait-elle déjà cette indéfectible tristesse en elle ? C’est ce que cherche à savoir Delphine de Vigan dans le désir peut-être irréaliste d’en isoler la cause.
Comme dans toute famille, il est particulièrement difficile de remuer le passé, encore plus quand il a été douloureux. Et la réalisation d’un projet littéraire y surajoute les problèmes relevant du processus créatif et de la publicité donnée aux histoires intimes. Tout ensemble, Delphine de Vigan relate donc l’histoire de sa mère et celle du work in progress – trouver les informations mais aussi les mots et le ton justes. Sur scène, Elsa Lepoivre y mêle même un extrait d’interview. Tout y est pudique, blessure entrouverte, violence d’autant plus forte qu’elle est tue ou ravalée. Délicat est certainement le qualificatif qui vient le plus à l’esprit devant ce spectacle. Mais quelque chose persiste qui dérange.
Certainement le choix de donner à la prose de Delphine de Vigan l’aspect du naturel. D’avoir voulu faire passer l’écriture raffinée de l’autrice pour une forme spontanément orale. Car cette tentative sonne faux. Fait paraître les émotions artificielles. Surtout dans ces moments où Elsa Lepoivre rapporte les longues accumulations auxquelles Delphine de Vigan s’adonne à l’écrit. Ou emploie encore en toute simplicité l’imparfait du subjonctif. Ce semblant de parole spontanée occupe tout le spectacle, transforme le récit écrit en une pseudo confession orale les yeux dans les yeux qui peine à toucher tant affleure sans cesse une gêne. Pourquoi ne pas avoir assumé par une autre forme de prise de parole la littérarité du récit ? Il faut peut-être le demander à Fabien Gorgeat, metteur en scène du spectacle.
A partir de là, tout paraît affecté et ce n’est plus la même histoire. Pas la même histoire en tout cas que celle de nos confrères critiques conquis. Pourquoi cette chemise bleue échancrée que porte Elsa Lepoivre ? A quoi servent ces projections en fond de scène dont on n’a pas besoin pour s’y repérer ? Pourquoi ne révéler que petit à petit ce qui est arrivé à Lucile, son suicide ? Comment passer si vite sur la question de la tentative de viol qu’elle aurait subie et que tout le monde dans sa famille a tue ? Et au fond, que nous dit l’exhibition de la pudeur ?… Quand le dispositif nous tient à distance, les interrogations se multiplient. Les créateurs de ce spectacle nous le pardonneront – on le souhaite – sur un sujet si intime et sensible.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Rien ne s’oppose à la nuit
Adaptation : Elsa Lepoivre et Delphine de Vigan
Mise en scène: Fabien Gorgeart
Dramaturgie : Agathe Peyrard
Scénographie : Thomas Veyssière
Costumes : Céline Brelaud
Lumières : Thomas Veyssière et Henri Coueignoux
Collaboration artistique : Aurélie BarrinDurée 1h20
Studio de la Comédie-Française
du 22 septembre au 6 novembre 2022
Epoustouflant.. J’ai été subjuguée par cette prestation, c’était très fidèle au livre, intime et profond.
Seule sur scène, elle a délicatement donné vie à une histoire qui abrite des secrets et des sujets difficiles à évoquer. Je salue Elsa Lepoivre pour son travail et sa présence fascinante sur scène. Bravo