L’Opéra de Paris présente une nouvelle production infiniment poétique et émouvante de Peter Grimes, le premier chef-d’œuvre de Britten, mis en scène par Deborah Warner et dirigé par Alexander Soddy.
Déjà présentée au Teatro Real de Madrid puis au Royal Opera House de Londres, la mise en scène de Deborah Warner actuellement donnée à Paris confirme la très sensible affinité de sa signataire avec un compositeur dont elle a déjà monté de nombreux titres (Le Tour d’écrou, Mort à Venise, Billy Budd…). Peter Grimes, écrit en 1945, fait la peinture tragique d’une pauvreté sociale et morale qui exacerbe l’exclusion et la marginalisation. Dans un paysage maritime tel que les affectionnait Britten, un simple pêcheur fait figure de paria. Le personnage, un homme solitaire, un peu rustre mais aussi délicat, se laisse découvrir échoué sur le rivage de son pays natal, enroulé comme capturé dans ses filets de pêche, hanté et tourmenté par d’effroyables visions, celle d’une carcasse de barque qui flotte à la dérive, celle de son mousse mort accidentellement, suspendu dans les airs. Autour de lui, grouille et gronde une foule accusatrice, masse sombre qui, à mesure que l’action progresse, dévoile son penchant pour le vice et la méchanceté.
C’est un univers empreint de rudesse et de rugosité qui est restitué avec force et finesse, entre prosaïsme et onirisme, mais sans la moindre outrance, sur le plateau baigné de couleurs nordiques. La nuit noire et brûlante, la grève glacée et jonchée d’ordures, se présentent comme un cadre propice à voir se dessiner une existence de dur labeur comme de désœuvrement où tout transpire le drame. Dans un de ces pubs sans charme et bondé comme sur l’hostile côte bétonnée, les faux bigots se révèlent être de vrais soulards qui noient leur chagrin dans la bière et le gin. La populace danse dans une triste allégresse et laisse complaisamment s’exprimer sa violence latente.
Il y a une telle beauté, une telle justesse, une telle empathie dans le travail de la metteuse en scène qui rend tout si vrai et si humain qu’on ne saurait rien lui enlever ou rien imaginer d’autre que ce qu’il contient déjà dans ses moindres détails. Sur scène respirent magistralement la vie, la cruauté, la détresse. Ce qui est montré théâtralement bouleverse en s’appuyant parfaitement sur la puissance dramatique du livret et de la musique.
Car en fosse, se déploie avec limpidité et opulence une force expressive impeccable. L’orchestre somptueux sonne comme une houle aussi bien déchainée que maîtrisée, dont les rafales sonores et les accents célestes submergent d’émotion sous la direction du chef Britannique Alexander Soddy. Avec une formidable aisance physique et vocale, le chœur, très engagé et dans une forme éblouissante, s’affirme continuellement au service du drame. Les solistes s’emploient également à donner un incroyable relief et une belle intensité aux nombreux personnages représentés dans l’œuvre. Le ténor Allan Clayton offre une incarnation subtile et saisissante du rôle-titre. Entre suavité et sauvagerie, il se présente telle une bête traquée et campe un Peter Grimes pétri d’une profonde humanité. L’institutrice Ellen est idéalement défendue par Maria Bengtsson dont le chant consolant est aussi compassionnel que l’est celui du superbe Balstrode de Simon Keenlyside. Toute la distribution porte un jeu et un chant d’une beauté et d’une intensité sidérantes.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Peter Grimes
Opera en un prologue et trois actes (1945)
D’après George CrabbeMusique
Benjamin Britten – (1913 – 1976)Livret
Montagu SlaterDirection musicale
Alexander SoddyMise en scène
Deborah WarnerAvec
Peter Grimes : Allan ClaytonEllen Orford : Maria Bengtsson
Captain Balstrode : Simon Keenlyside
Auntie : Catherine Wyn-Rogers
First Niece : Anna-Sophie Neher
Second Niece : Ilanah Lobel-Torres
Bob Boles : John Graham-Hall
Swallow : Clive Bayley
Mrs. Sedley : Rosie Aldridge
Reverend Horace Adams : James Gilchrist
Ned Keene : Jacques Imbrailo
Hobson : Stephen Richardson
Décors
Michael LevineCostumes
Luis F. CarvalhoLumières
Peter MumfordVidéo
Justin NardellaCollaborateur aux mouvements
Kim BrandstrupChef des Choeurs
Ching-Lien WuOrchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Coproduction avec le Teatro Real, Madrid, le Royal Opera House covent garden, Londres et le teatro dell’opera, RomeDiffusion ultérieure sur France Musique à 20h dans le cadre de l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.
Durée 3h40 avec 2 entractes
Palais Garnier
du 23 janvier au 24 février 2023
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