Pour sa première fois au Festival d’Avignon, le chorégraphe et directeur du Centre national de danse contemporaine d’Angers présente Close Up, une pièce qui voudrait conjuguer L’Art de la fugue de Bach et une gestuelle délibérément combative.
Dans la lignée de ses récentes pièces telles que Faits et gestes, Les Vagues et First Memory, Noé Soulier poursuit, dans Close Up, son exploration de la relation qu’entretient la danse avec la musique. Inspiré par L’Art de la fugue, sa nouvelle création restitue quelques portions congrues du vaste ensemble qu’est l’œuvre ultime et laissée inachevée de Bach. D’un côté du plateau, un quintet de musiciennes – l’ensemble Il Convito dirigé par Maude Gratton au clavecin ; de l’autre, un sextet de danseuses et danseurs. Les espaces qui leur sont dédiés sont irrémédiablement séparés. De fait, les deux disciplines semblent davantage coexister qu’interagir, au point que leur dialogue paraît ténue, voire invisible. Considérée comme une emblématique synthèse de l’art polyphonique et contrapuntique de Bach, la partition regorge de fulgurances rythmiques, de variété ludique, qui seraient pourtant à l’origine des phrases écrites par Noé Soulier pour ses interprètes. Malgré son indéniable dimension expressive, la musique passe quasiment pour secondaire, accomplissant un rôle d’accompagnatrice décorative remisée dans son coin. D’ailleurs, les danseurs semblent plus éloquents lorsque la partition se tait. Plongés dans un profond silence, les corps se meuvent alors, pulsés par une respiration courte et haletée.
Faire intervenir Bach revient forcément à voir s’imposer de multiples références, à commencer par Anne Teresa de Keersmaeker qui travaille à l’envi, et avec tant de justesse, sur le compositeur allemand. Partita 2, les Suites pour violoncelle, les Concertos Brandebourgeois, les Variations Goldberg ont été pour elle, comme pour le public, autant d’occasions privilégiées de créer à chaque fois une étape supplémentaire de connaissances, d’appréhension, d’imprégnation intime de l’œuvre. « Pour moi, la musique de Bach porte en elle comme nulle autre le mouvement, la danse, et parvient à associer l’abstraction extrême avec une dimension concrète, physique et même transcendante, peut-être précisément pour cette raison », souligne-t-elle à dessein.
Sans être, narrative, ni purement abstraite, la danse de Noé Soulier trouve son point d’équilibre à l’intermédiaire des deux. S’il lui manque une certaine explosivité, Close Up se place dans la veine assez mouvementée d’anciennes pièces d’inspiration sportive ou gymnique, et profite d’une importante dimension physique et organique. Rien n’est réellement massif dans les mouvements proposés, mais ces gestes toniques et tranchants pourraient être empruntés à la lutte tribale et aux arts martiaux. La pièce s’apparente donc à un combat d’où émane une tension évidente entre assaut et défense. En multipliant les rapides entrées et les sorties, puis les orientations des corps dans l’espace, Julie Charbonnier, Yumiko Funaya, Nangaline Gomis, Samuel Planas, Mélisande Tonolo et Gal Zusmanovich se livrent, seuls ou en groupes, à d’intempestifs jetés de tête, de buste, de bras, de mains. Les corps nettement élancés se trouvent comme dans une sorte d’état d’urgence, tout en faisant montre d’une énergie bien contrôlée.
La pièce avance et débouche sur un nouvel espace : une sorte de boîte blanche à la fois ouverte et close, surplombée par un très large écran. Noé Soulier utilise la vidéo pour la première fois sur scène. Son dispositif original, proche de l’installation, se révèle pertinent dans sa façon d’orienter la perception et de renverser la focale : ce n’est plus le regardant qui compose l’image qui s’offre à voir, mais une caméra sur pied qui capte, en direct, en plan fixe et au plus près, les corps des interprètes projetés d’une manière à la fois maximalisée et nécessairement fragmentée. Formé à la danse classique et contemporaine, fin penseur et analyste de l’histoire de la danse, Noé Soulier ne cesse de s’intéresser au mouvement dans une approche réflexive qui s’interroge autant sur l’intention précise qui le motive que sur sa réalisation concrète. Sa danse parfois austère trouve ici un bel l’élan dans la combativité et sait aussi ménager, même un peu tardivement, une étonnante douceur lorsque les corps jusqu’ici en alerte se présentent suavement entrelacés et dévoilent les affects dont ils sont traversés avec une émotion qui jusque-là manquait.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Close Up
Conception et chorégraphie Noé Soulier
Direction musicale Maude Gratton
Musique Jean-Sébastien Bach
Avec Julie Charbonnier, Yumiko Funaya, Nangaline Gomis, Samuel Planas, Mélisande Tonolo, Gal Zusmanovich et l’Ensemble Il Convito : Christine Busch en alternance avec Sophie Gent (violon), Claire Gratton (viole de gambe), Maude Gratton (clavecin), Amélie Michel (traverso), Ageet Zweistra (violoncelle)
Lumière Kelig Le Bars
Vidéo Pierre Martin Oriol
Scénographie Kelig Le Bars, Pierre Martin Oriol, Noé Soulier
Assistanat à la chorégraphie Stephanie Amurao
Direction technique François le Maguer
Régie générale Mathilde Monier
Régie lumière Nicolas Bazoge
Assistanat lumière et plateau Martin Mouchère
Régie vidéo et son Jérôme TuncerProduction Adèle ThebaultProduction Centre national de danse contemporaine d’Angers
Coproduction Ensemble il Convito, Festival d’Avignon, Théâtre de la Ville (Paris), Angers Nantes Opéra, Romaeuropa Festival (Rome), Espaces Pluriels Scène conventionnée danse (Pau), Theater Freiburg, Arsenal Cité musicale de Metz, Maison de la danse Pôle européen de création (Lyon), Théâtre Auditorium de Poitiers, Chaillot Théâtre national de la danse (Paris)
Avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels, Villa Albertine (New York), Spedidam pour la 78e édition du Festival d’Avignon
Résidences Office Artistique de la Région Nouvelle-AquitaineDurée : 1h15
Festival d’Avignon 2024
Opéra Grand Avignon
du 15 au 20 juillet, à 18hCentre national de danse contemporaine d’Angers
les 9 et 10 octobreRomaeuropa Festival (Italie)
le 16 octobreLa Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche, avec Lux, Scène nationale de Valence
les 27 et 28 novembreTheater Freiburg (Allemagne)
le 7 décembreOpéra de Rennes, dans le cadre du Festival Waterproof
les 18 et 19 janvier 2025Opéra de Nantes, dans le cadre du Festival Trajectoires
les 25 et 26 janvierLe Quartz, Scène nationale de Brest
le 28 janvierThéâtre Auditorium de Poitiers
le 31 janvierEspaces Pluriels, Scène conventionnée danse, Pau
le 5 févrierScène nationale du Sud-Aquitain, Anglet
le 7 févrierThéâtre de la Ville, avec Chaillot Théâtre national de la danse, Paris
du 11 au 13 marsL’Arsenal, Cité musicale de Metz
le 27 mars
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !