Le frigo surprise de Clément Poirée
Non content d’adapter la pièce de Copi, le directeur du Théâtre de la Tempête s’est lancé dans un audacieux triptyque de plus de quatre heures. Quitte à risquer l’indigestion théâtrale.
Il faut reconnaître à Clément Poirée une double qualité, celle de savoir ménager les effets de surprise et de placer les spectateurs dans une situation d’inconfort. Pour qui connait Le Frigo de Copi dont le metteur en scène annonçait l’adaptation, la durée de 4h15 attachée à cette courte pièce habituellement représentée en moins d’une heure ne pouvait sembler qu’outrageusement longue, forcément suspicieuse. Quelque chose devait se cacher à l’intérieur de ce frigo qui, dans le texte originel, reste désespérément porte close.
Et pour cause. Sans crier gare, Clément Poirée a choisi d’en faire sortir deux autres pièces, et non des moindres : Macbeth de Shakespeare et Les Bonnes de Genet. Il n’est pas question pour lui de les imbriquer, comme peuvent le faire Frank Castorf ou Krzysztof Warlikowski, mais d’en organiser la succession pure et simple. Pour justifier ce copieux parcours théâtral, le directeur du Théâtre de la Tempête dit vouloir « travailler sur la figure du monstre » qui traverserait l’ensemble de ce triptyque. Aussi séduisante qu’audacieuse sur le papier, l’idée se transforme, à l’épreuve des planches, en prétexte artificiel, en concept indigeste.
La soirée avait pourtant fort bien commencé. Face à l’hideux frigo que sa mère vient de lui faire livrer pour son cinquantième anniversaire, L. se débat avec une vie qu’il s’invente. Débordant d’imagination, ce double théâtral de Copi – qui, à l’époque, se sait déjà condamné par le Sida – devient dans son élégant salon un homme-orchestre, capable de se dédoubler à l’envi, d’incarner, tour à tour, un mannequin à la retraite, sa bonne Goliatha, un détective raté, sa mère ravagée, et de nouer une relation d’amour avec un rat. De cette folie douce qui masque mal les turpitudes d’un homme blessé, Eddie Chignara s’empare avec gourmandise et maîtrise. Il ne recule devant aucune audace et change de personnage avec autant d’aisance que de robe ou de chaussures à talons. Furieux, enlevé, ce précipité séduit dans sa façon de croquer le théâtre à pleines dents. Une réussite qui en viendrait presque à faire regretter que tout ne s’arrête pas là.
Car la suite fait l’effet d’une douche froide. Du frigo qui obsède Copi, sortent trois sorcières qui ressemblent, trait pour trait, à celles de Macbeth. Invités à se déplacer en fond de scène, les spectateurs sont installés dans une arène, au centre de laquelle la pièce du grand Will se joue. Opérée sans ménagement, dans une incompréhension latente, la transition est abrupte. Le dépouillement scénique, la noirceur, la langue shakespearienne tranchent trop franchement avec le théâtre pétillant de Copi. Taillée à la hache dramaturgique pour les besoins du concept, Macbeth a perdu une bonne partie de sa substance. Dans sa direction d’acteurs, Clément Poirée impose au couple régicide (Bruno Blairet et Céline Milliat-Baumgartner) un jeu appuyé qui, d’emblée, les transforme en dingues, et ne laisse pas le sel de la folie progressé autant que nécessaire.
A la recherche de la cohérence d’une telle proposition, le public se voit, après un court entracte, plongé dans Les Bonnes. Clément Poirée réinstalle alors son spectacle dans son décor d’origine, et retombe, en partie, sur ses pieds. Emmené par un trio de comédiens (Louise Grinberg, Anne-Lise Heimburger et Laurent Menoret) qui jettent leurs dernières forces dans la bataille, la pièce cruelle de Genet est conduite avec application, mais souffre d’une absence partielle de lecture, due sans doute à l’ampleur trop importante du projet. Surtout, elle a toutes les difficultés du monde à imprimer dans l’esprit de spectateurs qui frôlent l’overdose, et attendent, toujours, de comprendre la raison de cette enfilade théâtrale où aucune boucle n’est bouclée. Pour passer de l’autre côté du frigo, Clément Poirée aurait pu se contenter du diptyque Copi-Genet. Moins abondant et plus cohérent, il se serait sans doute suffi à lui-même.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Dans le frigo
d’après Copi
Mise en scène Clément Poirée
Avec Bruno Blairet, Eddie Chignara, Louise Grinberg, Anne-Lise Heimburger, Pierre Lefebvre-Adrien, Matthieu Marie, Laurent Menoret et Céline Milliat-Baumgartner
Scénographie Erwan Creff
Lumières Kelig Le Bars, assistée d’Edith Biscaro
Costumes Hanna Sjödin, assistée de Camille Lamy
Musique et sons Stéphane Gilbert
Maquillages et coiffures Pauline Bry
Habillage Emilie Lechevalier
Collaboration artistique Nicolas Tejera assisté de Pauline Labib
Régie générale Farid LaroussiProduction Théâtre de la Tempête, subventionné par le ministère de la Culture, avec le soutien de l’Adami et la participation artistique du Jeune Théâtre national
Durée : 4h15, entracte compris (en intégrale) ; 2h30 (en diptyque)
Théâtre de la Tempête, Paris
du 13 septembre au 20 octobre 2019
En intégrale les samedi et dimanche ; en diptyque Le Frigo/Macbeth les mardi et jeudi, Le Frigo/Les Bonnes les mercredi et vendredi
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !