La metteure en scène Clara Chabalier et le compositeur-pianiste Sébastien Gaxie s’associent pour composer ensemble une promenade hybride. Une dérive musicale et poétique entre Le Voyage d’Hiver de Franz Schubert et celui d’Elfriede Jelinek.
Devant une montagne aux couleurs saturées, artificielles, un visage de femme nous accueille à l’orée de Voyage d’hiver (une pièce de théâtre). C’est Clara Chabalier, les cheveux rassemblés en une drôle de crête, qui s’est filmée en train de mêler deux textes de l’écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek, publiés sur son site internet : Fremd bin ich (Moi l’étrangère), discours de remerciement écrit à l’occasion de la réception du Prix Nobel de la littérature en 2004, et Sur Schubert, où elle dit l’importance du compositeur sur son œuvre. Avant d’entrer dans le Winterreise de Jelinek et dans l’œuvre de Schubert qui l’a inspiré, ce préambule met le spectacle sous le signe de la disparition et de l’écart.
Ces malaises, Clara Chabalier et le compositeur Sébastien Gaxie, accompagnés sur scène de la chanteuse lyrique Élise Dabrowski, tentent de les apprivoiser ensemble. À travers un audacieux mélange des disciplines, des genres et des langues, tels qu’on en voit à la péniche La Pop où a été créé le spectacle avant d’arriver au Théâtre de l’Échangeur à Bagnolet. Un autre lieu de belles découvertes. Alors qu’on croyait avoir à faire à une de ces performances qui déplorent le délitement de l’Humain par l’absence de corps sur scène, Clara Chabalier fait irruption sur le plateau. Sans crête, mais emmitouflée dans une combinaison de ski. Enfantine, mais aussi tendue. Étrange, volontiers provocatrice.
L’auteure et metteure en scène est au diapason de l’écriture d’Elfriede Jelinek, qui dans Winterreise se déploie en huit étapes. Ou huit dérives parfois très proches de celles de Wilhem Müller, dont les poèmes romantiques, emplis de voyages et de solitude, se marient dans les lieder de Schubert à de tristes et profondes compositions, réputées parmi les plus belles de son œuvre. Comme l’a fait Elfriede Jelinek avec la musique de Schubert, Clara Chabalier s’empare des mots de l’auteure autrichienne avec une liberté qui traduit un profond respect. Une admiration dont, chacun à sa manière, et en s’essayant aussi régulièrement aux disciplines des autres, Sébastien Gaxie et Élise Dabrowski se font aussi les relais. Avec bonheur parfois, mais non sans une certaine confusion.
Interprétés par la chanteuse et le pianiste, les escales musicales de ce Voyage d’hiver (une pièce de théâtre) sont parfaites. Les poèmes de Wilhem Müller n’ont guère besoin d’être transformés pour émouvoir. Simplement surtitrés en français, ils touchent au cœur de la solitude et de l’exclusion contemporaines. Bien plus que les passages les plus théâtraux de la pièce, où Clara Chabalier porte le verbe acéré d’Elfriede Jelinek dans une montagne plus fausse encore que celle de l’image initiale. Faite d’une poignée de sapins en plastique recouverts d’une poudreuse synthétique. Faute de rompre suffisamment avec la mélancolie schubertienne, elle peine à traduire tout le piquant et l’inventivité de la langue du Winterreise autrichien, dont elle donne à entendre le caractère hybride.
Entre ses moments purement musicaux et ses monologues, Voyage d’hiver multiplie les tentatives de rencontre, de croisement entre les disciplines, les langues et les registres. Élise Dabrowski, par exemple, chante en français les paroles prononcées en allemand dans une interview par Natasha Kampusch, séquestrée pendant huit ans dans une cave, en même temps que quelques extraits du lied Erstarrung (Congélation). Après, ou peut-être avant quoi – on se perd vite, dans cette traversée – les trois complices se lancent en chœur dans un chant proche du slam, construit selon les techniques du KonnakoL, technique de récitation de rythmes dans la musique d’Inde du Sud. Pour Elfriede Jelinek, les plus grands et troublants voyages sont immobiles ; ceux de Clara Chabalier et de Sébastien Gaxie auraient gagné à l’être davantage.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Voyage d’hiver (une pièce de théâtre)
D’après Winterreise de Elfriede Jelinek* (traduction Sophie André Herr © Le Seuil)
Et les textes inédits Moi l’étrangère et Sur Schubert (traduction Magali Jourdan et Mathilde Sobottke)
Adaptation : Clara Chabalier
Scénographie : Franck Jamin
Jeu : Clara Chabalier
Musiciens : Elise Dabrowski, Sébastien Gaxie
Vidéo : Jacques Hoepffner
Musique
RÉALISATION INFORMATIQUE MUSICALE > Franck BerthouxLumière
CRÉATION > Gildas Goujet | RÉGIE > Iannis JapiotComposition : Sébastien Gaxie
Son
RÉGIE > Serge LacourtSite internet de la compagnie
www.compagniepetrole.comAdministration / Production Mara Teboul et Marie-Pierre Mourgues – L’Oeil Ecoute
*Elfriede Jelinek est représentée par l’Arche, agence théâtrale. www.arche-editeur.com
Production Compagnie Pétrole
Co-production La Pop – incubateur des musiques mises en scènes, la Fondation Royaumont
La compagnie Pétrole bénéficie de l’aide au projet de la DRAC Île-de-France – Ministère de la Culture et de la CommunicationAvec le soutien de la Fondation Royaumont et de la Fondation Daniel et Nina Carasso, grand mécène de la Fondation Royaumont pour le soutien de l’émergence, la recherche artistique et le développement des artistes, d’Arcadi Île de France, du Fond de Création Lyrique et de la Spedidam.
Coréalisation : Théâtre -L’Échangeur – Cie Public Chéri
La compagnie Pétrole remercie chaleureusement la Petite Rockette, Caroline Arrouas, Juliette Deretour Julien Pontvianne, Alexandre Pallu, Laurent Vacher et la Compagnie de Bredin, l’IRCAM, le Théâtre de Gennevilliers.
Photographies © Marikel LahanaDurée : 1h35
Théâtre de l’Échangeur – Bagnolet
Du 14 au 21 décembre 2018Théâtre des 4 saisons – Gradignan
Le 19 janvier 2019La Comédie de Reims – Festival Reims Scènes d’Europe
Le 1er février 2018Théâtre de Vanves
Mars 2019 (date en cours)
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