Les deux metteurs en scène s’emparent de la nouvelle de Jane Bowles, Camp Cataract, et épousent toute la subtilité d’une écriture en trompe-l’œil, où la folie croque la réalité à pleines dents.
A première vue, Camp Cataract ressemble à un joli havre de paix. Niché au milieu des sapins, à proximité de splendides cascades, l’endroit a tout du lieu de vacances idéales, ou du sanatorium spartiate où peuvent venir se reposer des personnes à l’équilibre psychique précaire. Harriet fait partie de ces dernières. Habituée des lieux, elle souffre de crises nerveuses causées par le trop-plein d’amour que lui porte sa sœur Sadie. A Camp Cataract, elle trouve chaque année cet éloignement salvateur, ce repos solitaire, loin d’un noyau familial qui l’étouffe et d’un monde où elle n’a pas réussi à trouver sa place.
A quelques centaines de kilomètres de là, Sadie vit avec son autre sœur et son mari. Le couple a fait d’elle leur bonne à tout faire et est loin, très loin, de comprendre son attachement fraternel viscéral. Blessée par ces lettres qu’elle envoie à Camp Cataract, mais qui restent sans réponse, Sadie décide d’aller rendre visite à Harriet avec une peur chevillée au corps : celle, qu’un jour, sa sœur choisisse de l’abandonner définitivement.
Ces eaux psychologiques troubles renforcent l’atmosphère étrange qui, derrière l’idyllisme de façade, nimbe progressivement le lieu. Sublimé par la scénographie de Matthieu Lorry Dupuy, il semble être le point de départ de multiples chemins tortueux dessinés par l’écriture de Jane Bowles. Emplie de non-dits, bien plus importants que la maigre intrigue de surface, elle plonge ses personnages dans une zone grise, entre humour et angoisse, réalité et folie. Dès lors, difficile de démêler le vrai du faux, de savoir qui est vraiment sain d’esprit, d’avoir la certitude que ce qui se passe est réellement advenu.
Épaulée par Thomas Quillardet, Marie Rémond ne cherche pas à donner les clefs de cette nouvelle en trompe l’œil, d’offrir une lecture pleine de certitudes sur un plateau. Les co-metteurs en scène préfèrent épouser cette étrangeté et restituer le climat cultivé par Jane Bowles, avec son lot de mystères, non élucidés, où chacun pourra aller piocher et entendre ce qu’il souhaite. D’abord monté à la manière d’une pièce naturaliste, proche du théâtre de Tennessee Williams – l’un des soutiens indéfectibles, avec Truman Capote, de la femme de Paul Bowles, auteur d’Un thé au Sahara – le projet se laisse peu à peu gagner par d’étranges signaux qui en font toute la singularité.
Guidés par une direction d’acteurs au cordeau et accompagnés par une voix off omnisciente, porte-parole du for intérieur des personnages, les quatre comédiens jouent avec finesse de cette instabilité motrice. En Sadie à la fragilité ambivalente et en Harriet à l’effronterie tourmentée, Caroline Arrouas et Marie Rémond forment un duo fraternel aussi subtil qu’angoissant, mu par une mystérieuse relation d’attraction-répulsion, quand Caroline Darchen et Laurent Ménoret endossent des rôles qui personnifient la bizarrerie du lieu. Servante docile et faux indien vendeur de souvenirs, ils dégagent une monstruosité qui peut faire douter de leur matérialité. A Camp Cataract, les illusions causées par les miroirs d’eau ne sont jamais loin.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Cataract Valley
d’après la nouvelle Camp Cataract de Jane Bowles
nouvelle extraite du recueil Plaisirs Paisibles écrit en 1948
traduction Claude-Nathalie Thomas
un projet de Marie Rémond
adaptation et mise en scène Marie Rémond et Thomas Quillardet
avec Caroline Arrouas, Caroline Darchen, Laurent Ménoret, Marie Rémond
scénographie Mathieu Lorry Dupuy
création lumière Michel Le Borgne
création son Aline Loustalot
costumes Marie La Rocca
production, diffusion Cécile Jeanson (Bureau Formart), Sophie Cabrit (ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie)Production
ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie, bureau Formart
Coproduction Odéon – Théâtre de l’Europe, Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, Théâtre de Lorient – Centre dramatique national, POC – Salle de spectacle (production en cours)Avec l’aide à la production de la DRAC Ile-de-France.
Marie Rémond est associée au ThéâtredelaCité – CDN Toulouse OccitanieDurée : 1h30
du 9 au 19 octobre 2018 › ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie
du 17 mai au 15 juin 2019 › Odéon – Théâtre de l’Europe (Paris)
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