La nouvelle création de la metteuse en scène Bérangère Vantusso, accessible à partir de dix ans, ne convainc pas en dépit de la joliesse de sa forme.
Lorsque les spectateurs entrent en salle, ils découvrent au centre du plateau un grand panneau. Sur celui-ci, une indication simple, de celle que nous (re)connaissons tous : un cercle rouge bordé de la phrase « Vous êtes ici » et portant en son centre un point, rouge également. Cette signalétique emblématique des plans et autres cartes contient dans sa simplicité formelle, comme dans l’ambivalence de son énoncé – que désigne cet « ici » : le théâtre en tant que lieu de représentation dans l’absolu ? celui où le spectacle joue ? l’espace imaginaire que va déployer la pièce ? –, l’essence du projet de Bouger les lignes. Dans cette nouvelle création tout public sous-titrée Histoires de cartes, Bérangère Vantusso s’intéresse aux cartes, donc, à l’imaginaire qu’elles véhiculent, aux mondes qu’elles nous promettent, comme à leur instrumentalisation à des fins de politiques ou de domination.
Ce projet, la metteuse en scène et actuelle directrice du Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine l’imagine avec des acteurs membres de l’Oiseau-mouche. Née à Roubaix en 1978 – et invitée pour la première fois cette année dans le In du Festival d’Avignon –, la compagnie de l’Oiseau-mouche mène depuis plus de quarante ans un travail atypique. Premier centre d’aide par le travail (CAT) artistique de France, elle est à la fois un établissement médico-social et une compagnie conventionnée par le ministère de la Culture, avec une vingtaine de comédiens permanents. Pour chacune de ces créations, l’Oiseau-mouche accueille un artiste différent, qu’il soit metteur en scène ou chorégraphe – citons Christian Rizzo, François Cervantès, Latifa Laâbissi, ou encore Cédric Orain. Chaque collaboration constitue autant un déplacement pour l’artiste invité que pour les comédiens de la compagnie, qui se frottent à une multiplicité de langues, de genres, d’esthétiques, de formes et de propos.
Avec Bouger les lignes, c’est à l’exploration d’un monde ludique et coloré que les quatre personnages nous invitent. Partant de « vous êtes ici », les compères – dont les costumes assortis évoquent une lointaine parentèle avec le monde ouvrier – arpentent progressivement les lieux, scène comme salle. Dans une scénographie mobile, en recourant à des accessoires aisément identifiables par tous – représentations stylisées d’éléments de notre quotidien –, le quatuor va, en s’intéressant à la carte et à la multiplicité de ses usages et discours, composer sa propre géographie. Il s’agit pour eux d’inventer le plan de leur territoire autant que de décrypter cet espace, le mesurant, le notant et le nommant. Ce faisant, les diverses facettes des cartes sont convoquées, voire, illustrées, le dispositif scénique ingénieux, comme la beauté des cartes réalisées par Paul Cox – peintre, graphiste, scénographe et illustrateur avec qui Vantusso avait co-signé le passionnant Longueurs d’ondes en 2018 – créant un univers chaleureux et coloré. Simples sans être simplistes, les artifices se révèlent une stimulante boîte à outils pour les acteurs, qui les manipulent à loisir, recomposant leur rapport à l’espace.
Pourtant, l’ensemble manque d’éclat et peine à trouver son rythme. La faute en partie à un texte un peu mièvre et trop convenu. Signée du dramaturge et écrivain Nicolas Doutey, la pièce s’enferre dans un propos au prosaïsme naïf mâtiné par instants d’ambition didactique – sur le rôle des cartes, les frontières, la fonction des satellites, etc. Si l’on peut s’amuser de la distanciation et du jeu récurrent avec le quatrième mur, si l’on perçoit aisément les influences beckettiennes, comme les tentatives de poésie, d’humour ou de pédagogie à travers la convocation de diverses cartes – politique, routière, des vents –, la proposition demeure pauvre. La cohérence de l’univers esthétique déployé, pourtant séduisante, se trouve alors presque contre-productive : comme si la belle homogénéité de la forme avec sa joliesse ingénue devenait redondante en regard du texte. Demeurent néanmoins quelques belles images – telle l’envolée dans l’espace – ainsi que la qualité d’interprétation des comédiens – citons Caroline Leman et Nicolas Van Bradandt –, dont le jeu un brin distancié et désinvolte procure un plaisir immédiat et vif.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Bouger les lignes
Mise en scène Bérangère Vantusso
Mise en peinture Paul Cox
Texte et dramaturgie Nicolas Doutey
Avec 4 interprètes de l’Oiseau-Mouche Mathieu Breuvart, Caroline Leman, Florian Spiry, Nicolas Van Bradandt
Collaboration artistique Philippe Rodriguez-Jorda
Scénographie Cerise Guyon
Lumière Anne Vaglio
Son Géraldine Foucault
Costumes Sara Bartesaghi Gallo
Assistanat costumes Simona GrassanoProduction Compagnie de l’Oiseau-Mouche, Compagnie trois-6ix-trente
Coproduction Festival d’Avignon, Le Studio-Théâtre de Vitry, Le Bateau Feu Scène nationale Dunkerque, Le CCAM Scène nationale Vandoeuvre-Lès -Nancy, La Maison de la Culture d’Amiens Pôle européen de création et de production, Le Sablier Centre national de la marionnette en préparation (Ifs et Dives-sur-Mer), Le Vivat (Armentières), Le Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes (Charleville-Mézières), La Manufacture Centre dramatique national de Nancy, Théâtre Le Passage (Fécamp), Le Grand Bleu (Lille), Le Théâtre Jean-Vilar de Vitry, Théâtre 71 Scène nationale de Malakoff
Avec le soutien de la Région Hauts-de-France au titre de la création à Avignon, Région Grand Est au titre de l’aide aux projets de création, Quint’est réseau spectacle vivant Grand Est Bourgogne-Franche-ComtéDurée : 1h
Festival d’Avignon 2021
du 6 au 9 juillet
Chapelle des Pénitents BlancsFestival Mondial des Théâtres de Marionnettes, Charleville-Mézières
les 18 et 19 septembreCie de l’Oiseau-Mouche, Roubaix
du 5 au 8 octobre
Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine
du 21 au 27 octobreLe Bateau Feu, Dunkerque
du 17 au 19 novembreMaison de la Culture d’Amiens
les 8 et 9 décembreLa Villette, Paris
du 16 au 19 décembreCCAM André Malraux, Vandoeuvre-lès-Nancy
du 11 au 15 janvier 2022
TJP, Strasbourg
du 19 au 21 janvierFestival Momix, Kingersheim
le 27 janvierLes 2 Scènes, Besançon
du 1er au 3 févrierLe Grand Bleu, Lille
du 1er au 3 marsLe Phénix Scène nationale, Valenciennes
les 8 et 9 marsLe Vivat, Armentières
du 12 au 15 marsLe Passage, Fécamp
le 25 marsLe Sablier, Ifs
le 29 marsScène nationale 61, Alençon
le 31 marsL’Odyssée, Périgueux
les 12 et 13 avrilMalakoff Scène nationale
du 12 au 14 mai
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