Princesse de Judée attendue, Valérie Dréville n’y pourra rien. Au Théâtre des Quartiers d’Ivry, le metteur en scène et sa troupe de comédiens s’empêtrent dans la tragédie de Racine, jusqu’à lui ôter tout sens et tout intérêt.
Pour clore sa trilogie sur les grandes héroïnes en quête d’émancipation et de liberté, débutée avec Anna Karénine et Mademoiselle Julie, Gaëtan Vassart a choisi, en collaboration avec Sabrina Kouroughli, de se frotter à Bérénice. L’idée semblait, de prime abord, tout à fait pertinente, mais, à trop vouloir se rapprocher de l’épure, à trop vouloir faire entendre le texte racinien, et lui seul, force est de constater qu’il s’est brûlé les ailes.
Dès les premières minutes, le navire théâtral prend l’eau. Comme Chloé Dabert et son dispensable Iphigénie créé en juillet dernier au Festival d’Avignon, le metteur en scène a voulu privilégier la métrique racinienne, au détriment du sens. Haché menu par des césures à l’hémistiche trop marquées, par un phrasé si détaché qu’il en devient caricatural, le texte s’effiloche au bout de quelques vers, et il devient impossible pour les spectateurs comme pour les comédiens d’y croire. Sur le plateau recouvert d’un lino rouge vif, entouré par des bancs en bois et quelques néons disposés à la verticale, Anthony Palliotti et Sabrina Kouroughli, en Antiochus nonchalant et en Arsace démodée, sont à la peine, si obsédés par les diérèses qu’ils sont incapables de penser ce qu’ils sont en train d’exprimer.
Assise sur un banc, comme l’ensemble des comédiens, Valérie Dréville soudain se lève. Son incroyable talent en bandoulière, elle espère, sans doute, pouvoir sauver une entreprise au bord de la noyade. Sous les traits de Bérénice, elle parvient, un temps, à tirer le jeu vers le haut, à instiller un semblant de fluidité, à redonner leur musicalité aux vers raciniens. Ses partenaires semblent alors profiter de ce tremplin scénique, mais l’embellie est de très courte durée. Lorsqu’arrive Stéphane Bret, fragile Titus qui n’a, en rien, les épaules d’un empereur romain, le spectacle retombe dans ses travers originels, et, peu à peu, Valérie Dréville se dévitalise, comme épuisée par le poids de ce spectacle qu’elle porte à bout de bras.
Peut-être conscient que sa proposition, qui ne manque pas de prétention, est plus proche d’un théâtre d’arrière-garde que de « l’actualité brûlante » à laquelle se rattacherait, à l’en croire, la pièce de Racine, Gaëtan Vassart esquisse quelques vaines tentatives de mise en scène pour tenter de sortir ses comédiens de la gueule du loup dans laquelle il les a délaissés. Las, le remède s’avère pire que le mal. Si la pluie de cendres finale produit la seule belle image du spectacle, la gestuelle maniérée qu’il impose, le travail vidéo de Grégoire de Calignon et la chorégraphie de Caroline Marcadé sont bien trop pauvres, et artificiels, pour convaincre.
Passé l’ennui profond, le constat alors est amer. Rarement aura-t-on vu, sur la scène d’un théâtre aux attributs nationaux, une Bérénice aussi dévitalisée, un amour brûlant aussi éteint, des comédiens, malgré quelques maladroits sursauts, aussi peu engagés, une langue intrinsèquement magnifique aussi malmenée. Gaëtan Vassart a condamné Bérénice, et se faisant tué Racine. Rien que pour cela, il est possible de lui en vouloir.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Bérénice
de Jean Racine
Mise en scène, Gaëtan Vassart en collaboration avec Sabrina Kouroughli
Avec Stéphane Brel, Valérie Dréville, Sabrina Kouroughli, Anthony Paliotti, Maroussia Pourpoint, Gaëtan Vassart
Scénographie, Camille Duchemin
Costumes, Camille Aït Allouache
Chorégraphie, Caroline Marcadé
Lumières, Franck Thévenon assisté de Eliah Ramon
Son, Aline Loustalot
Vidéo, Grégoire de Calignon
Assistante à la mise en scène, Ella GouëtProduction Compagnie La Ronde de Nuit ; Coproduction Théâtre du Jeu de Paume d’Aix-en-Provence ; Théâtre des Quartiers d’Ivry – Centre Dramatique National du Val-de-Marne ; Théâtre du Pont des Arts – Cesson-Sévigné (en cours)
Avec le soutien du Groupe Actif et l’aide de la Spedidam et de l’Adami
Résidence de création au CENTQUATRE-PARIS et au Théâtre des Quartiers d’Ivry
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Remerciements à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Jean-Claude Carrière et au Théâtre Nanterre-Amandiers.Durée : 2h
Théâtre des Quartiers d’Ivry
Du 14 au 24 mars 2019
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