Le ténor Benjamin Bernheim subjugue le public du Théâtre des Champs-Élysées dans son interprétation du rôle-titre de l’opéra de Massenet.
L’intelligence et le dramatisme d’une mise en scène faussement sage, et d’une rare élégance, signée Christof Loy, la direction d’orchestre du jeune chef Marc Leroy-Calatayud au lyrisme à la fois raffiné et passionné, une distribution de haut vol dominée par l’admirable détenteur du rôle-titre, Benjamin Bernheim, en pleine possession de ses superbes moyens vocaux : tout concourt à faire de la nouvelle production de Werther, importée de la Scala de Milan, une soirée d’opéra qui tient et dépasse toutes ses promesses. Au héros romantique imaginé par Goethe, Benjamin Bernheim apporte autant de candeur juvénile que de complexité tourmentée. Affichant la fière allure d’un poète un peu bohème et magnifiquement inspiré, le ténor déploie les charmes déjà observés dans les Faust, Roméo et Des Grieux qu’il a triomphalement incarnés ces dernières années. La beauté du timbre, la clarté lumineuse du chant et de la diction, la fluidité du phrasé, l’usage si fin de la nuance et de la demi-teinte, et la puissance éclatante de la projection sont autant de qualités qui laissent béat.
Autant de rigueur que de sensibilité traversent le salon qui sert de décor à la représentation. L’espace unique et dépouillé se découpe en deux puisque, derrière les murs d’un intérieur confiné, qui paraîtrait idoine pour mettre en scène une pièce de Tchekhov, se dévoile discrètement un jardin changeant au gré des saisons. Les arbres feuillus et gorgés de fruits dans la chaleur suffocante de l’été, puis les branches nues, seulement couvertes d’un duvet blanc, dans la froideur hivernale, suivent et soulignent la progression de l’intrigue vers son issue tragique. Une haute porte figure symboliquement le seuil d’un endroit synonyme de l’ennui à fuir pour Charlotte, prise au piège dans un monde bourgeois et fadement rangé, et, à l’inverse, synonyme de conquête pour Werther, qui y pénètre plein d’illusoires ambitions. Christof Loy tend ainsi à montrer l’étouffement et le vide d’un univers sans joie auquel la vitalité d’enfants chamailleurs et le caractère fantoche de figures burlesques s’offrent en contrepoint.
Si la mise en scène se veut résolument analytique dans sa manière de disséquer les rapports humains, elle ne perd pas de vue la passion déchirante qui habite et fait frémir les êtres. Ainsi, Charlotte et Werther se retrouvent très concrètement attirés et éprouvés par les sentiments qu’ils se portent l’un à l’autre. La mezzo Marina Viotti livre une forte incarnation de Charlotte. Son chant saillant, tout en rondeur, auquel s’ajoute une belle intensité dramatique, rend poignants ses deux airs (des lettres, puis des larmes) dans la deuxième partie. Jean-Sébastien Bou campe un Albert classieux et ambivalent, comme Sandra Hamaoui en Sophie pas uniquement rieuse, mais bien plus trouble qu’à l’accoutumée. Christof Loy renforce la cruauté du drame dans sa dernière partie, où Albert séquestre et violente sa femme. Terrassée, Charlotte est sommée de remettre elle-même à Werther le caisson contenant les pistolets avec lesquels il se donnera la mort. Jusqu’à ce fatal dénouement, l’orchestre Les Siècles, animé par la direction passionnée de Marc Leroy-Calatayud, accompagne l’amour absolu et impossible des protagonistes. Ses instruments d’époque au son irisé de couleurs tantôt sensuelles, tantôt lunaires, allient douceur et embrasement avec un véritable sens du poids tragique.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Werther
de Jules Massenet
Direction Marc Leroy-Calatayud
Mise en scène Christof Loy
Avec Benjamin Bernheim, Marina Viotti, Jean-Sébastien Bou, Sandra Hamaoui, Marc Scoffoni, Yuri Kissin, Rodolphe Briand, Johanna Monty, Guilhem Begnier, Agnès Aubé, Jean-Pierre Cormarie, Roland David, Martine Demaret, Rita Falcone, Danièle Gouhier-Rezzi, Laurent Letellier, Odile Morhain, Catherine Pepinster
Orchestre Les Siècles
Solistes enfants et Chœur d’enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine
Reprise de la mise en scène Silvia Aurea De Stefano
Scénographie Johannes Leiacker
Costumes Robby Duiveman
Lumières Roland EdrichCoproduction Théâtre des Champs-Élysées ; Teatro alla Scala
Durée : 2h40 (entracte compris)
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
du 22 mars au 6 avril 2025
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