L’auteur, comédien et metteur en scène Nasser Djemaï a pris hier la tête du Théâtre des Quartiers d’Ivry, dans un contexte doublement compliqué. Pour le surmonter, il entend faire du lieu une maison pour les auteurs vivants. En particulier ceux qui creusent les pages manquantes de l’Histoire.
Plus d’un an s’est écoulé depuis la démission de Jean-Pierre Baro de son poste de directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry (TQI). Prévue pour la rentrée 2020, la nomination d’un nouvel artiste à la tête de ce Centre Dramatique National (CDN) créé en 1972 par Antoine Vitez n’a finalement été annoncée que le 30 septembre. Résultat : c’est l’auteur, comédien et metteur en scène Nasser Djemaï a pris les clés de la maison hier matin avec sa directrice adjointe Anne-Françoise Geneix. Cela dans une situation générale difficile, doublé d’une fragilité interne causée par le contexte très tendu du départ de l’ancien directeur, peu après le décès d’Adel Hakim qui codirigeait avant lui le lieu avec Elisabeth Chailloux. Nasser Djemaï est prêt à relever le défi, dont il mesure bien l’ampleur. Familier des lieux, il appelle les imaginaires à la rescousse.
Une maison pour les auteurs vivants
L’univers personnel de Nasser Djemaï participera bien sûr à l’identité de la maison : il prévoit déjà deux créations, dont un conte fantastique sur le vieillissement intitulé Les Gardiennes. Il reprendra également son répertoire, qui creuse des zones d’ombres de l’Histoire, souvent lié aux origines algériennes de ses parents, arrivés en France dans les années 1950. Le public du TQI pourra ainsi sans doute découvrir le premier spectacle de Nasser, qui fait partie de l’histoire du lieu : « c’est Adel Hakim, lorsqu’il était directeur, qui m’a mis le pied à l’étrier. Je me rappelle très bien de notre rencontre : c’était en 2003, au tout début de mon travail sur mon premier spectacle, Une étoile pour Noël. Il m’a offert pour travailler une des salles de l’Atelier Théâtral, jusqu’à la création en 2005 qu’il a accueillie, de même que mes créations suivantes, Invisibles et Vertiges. En 2017, j’ai même inauguré la petite salle du Lanterneau », se rappelle-t-il. Aujourd’hui, il désire « inclure l’équipe dans les différentes phases de création » de ses pièces. Au TQI, Nasser Djemaï est chez lui.
Afin d’assurer la permanence artistique du lieu, et d’en faire selon ses termes une « fabrique des imaginaires », il s’entoure de aussi de quatre artistes qui partagent son intérêt pour « les pages manquantes de l’Histoire » : Pauline Bureau, Estelle Savasta, Tamara Al Saadi et Élise Chatauret. « Je souhaite faire de cette maison celle des auteurs metteurs en scène vivants, en accompagnant notamment ces quatre artistes associés sur le temps long, depuis la naissance de l’idée d’une œuvre jusqu’à sa réalisation. Les temps de création ne cessent de se réduire ; à ma mesure, je veux permettre à des artistes de s’engager dans des recherches au long cours ». La présence de ces artistes « aux esthétiques singulières, complémentaires entre elles » sera pour l’équipe un important facteur de cohésion. Elle doit aussi contribuer à rétablir une relation forte avec le territoire après le court mais catastrophique passage de Jean-Pierre Baro. Entièrement libres de développer les sujets et les méthodes de travail qui les intéressent, les quatre artistes associées pourront travailler avec des groupes, avec des lieux divers. Estelle Savasta, par exemple, mènera pour sa prochaine création des ateliers en prison. Elles interviendront également au sein de l’Atelier théâtral d’Ivry, qui permet chaque année à 200 amateurs de pratiquer le théâtre auprès de professionnels, dont Nasser Djemaï entend conserver la place centrale dans le projet du TQI. Elles y donneront des masterclass, des ateliers, de même que dans d’autres structures du territoire.
Pour « participer à la circulation des textes et des auteurs », le directeur annonce également la création d’un comité de lecture, dont les trouvailles seront mises en espace par des metteurs en scène. Un « festival des perles » pourrait constituer la partie immergée de ce travail qui mobilisera toute l’année une équipe menée par le comédien et metteur en scène Thierry Blanc. Nul doute que l’on y découvrira quelques pages oubliées de l’Histoire. De même que dans les spectacles de danse, de musique, dans les performances et autres qui cohabiteront dans la programmation du TQI avec le théâtre. Car Nasser Djemaï souhaite ouvrir à différentes disciplines le lieu jusque-là presque exclusivement dédié au théâtre.
L’ouverture pour credo
« C’est dans la complémentarité avec les nombreuses et très actives structures culturelles et associatives existantes dans la ville et au-delà, à l’échelle du département, que je veux affirmer l’identité du TQI », dit Nasser Djemaï. Le Théâtre Antoine Vitez, le Théâtre El Duende, les médiathèques d’Ivry, les maisons de quartier, l’association Bergers en scène et bien d’autres acteurs du territoire seront ainsi pour lui et son équipe des partenaires privilégiés, afin d’ouvrir le lieu au public le plus large possible. Il faudra déjà regagner la confiance des habitués, qui ont pour beaucoup déserté le lieu au moment de l’affaire Jean-Pierre Baro, et qui du fait de la Covid n’ont pas eu de très nombreuses occasions de reprendre le chemin du théâtre dont la direction par intérim a été assurée par Licinio Da Costa.
Pour aller à la rencontre de publics plus éloignés du théâtre, Nasser Djemaï compte beaucoup sur l’itinérance. D’autant plus que la période qui nous attend semble plus propice aux formes légères, intimistes, qu’aux grandes formes. Le TQI continuera par exemple de participer à la vie du Chariot des Quartiers d’Ivry né à l’issue du premier confinement du rassemblement de plusieurs acteurs publics et associatifs de la ville. « Nous allons tout faire pour prendre au mieux la mesure de la situation, et faire en sorte de ne pas passer notre temps à faire et défaire une programmation », affirme-t-il. Assurant le report des créations par la direction précédente, il est très probable que Nasser Djemaï doive attendre un peu avant de programmer comme il l’entend. « Il faut s’adapter. On ne peut travailler aujourd’hui comme on le faisait avant. Avec Anne-Françoise Geneix, nous pensons dans un premier temps au moins adopter un rythme de programmation trimestriel ». C’est petit à petit, en douceur, que le TQI refera son nid.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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