Né du rassemblement de plusieurs acteurs publics et associatifs de la ville, le Chariot des Quartiers d’Ivry amène la poésie et la chanson au pied des immeubles. Dans la couleur et la bonne humeur.
«Rendez-vous le 26 mai au 12 rue Gaston Monmousseau, à 19h ». C’est sur un ton de confidence que nous sont données ces informations qui, il y a quelques mois, auraient été largement relayées sur internet et les réseaux sociaux. Mais le Covid est passé par là. Pour éviter les rassemblements, seuls les habitants des barres d’immeubles de l’adresse indiquée, sur les hauts d’Ivry-sur-Seine, ont été informés de la visite d’un équipement culturel conçu pour répondre à la situation : le Chariot des Quartiers d’Ivry. Au jour et à l’heure J, des habitants sont donc installés à leurs balcon et fenêtres. D’autres sont descendus, et forment devant le véhicule bariolé un petit groupe masqué et dispersé, à qui les artistes qui actionnent deux grandes marionnettes demandent de ne pas trop approcher – un paradoxe dont ils s’amusent, tout en faisant de la pédagogie. Surtout pour les enfants, invités à s’assoir dans les cerceaux disposés au sol à cette intention, certains gambadent à proximité. Une toute jeune étoile du quartier improvise une danse sur le premier morceau du chanteur ivryen Manuel Merlot.
L’union fait le chariot
Le Chariot des Quartiers d’Ivry le 19 mai, à la Cité Pierre et Marie Curie. (c) Eric Brossier
Le quatuor qui officie à bord de la cariole affiche une entente parfaite. Manuel Merlot, la musicienne Olena Powichrowski et les comédiens Medhi Kerouani et Mathieu Cabiac n’avaient pourtant jamais travaillé ensemble avant de partager la même petite scène mobile décorée par la compagnie Laforaine, dont les fondateurs Linda Hede et Éric Brossier collaborent eux aussi pour la première fois avec les quatre artistes, tous installés de longue date à Ivry-sur-Seine. Manuel Merlot y est né en 1974. Il y vit encore et peuple ses chansons réalistes et ses reggae de personnages souvent inspirés de ses voisins. Les deux comédiens et la musicienne font partie de la troupe du Théâtre El Duende, fondé en 2000 sous la forme d’une coopérative ouvrière de production (SCOP), et la compagnie Laforaine déploie depuis une vingtaine d’années son univers coloré dans un bel atelier situé entre le Théâtre Antoine Vitez et Le Hangar, tout près aussi du Théâtre des Quartiers d’Ivry, tous partenaires de l’initiative, également soutenue la Ville d’Ivry.
« Après l’annulation de toutes nos dates de tournée estivales, la création collective de ce Chariot est d’autant plus réjouissante qu’elle réunit des acteurs locaux très divers, sans aucune hiérarchie », dit Linda Hede en nous faisant visiter son atelier, quelques jours après la première sortie du Chariot, le 19 mai à la Cité Pierre et Marie Curie, la plus grande cité d’Ivry. « Il est très agréable de voir que tout le monde est prêt à se réunir pour imaginer une manière d’aller à la rencontre des habitants, dans le respect des mesures sanitaires », dit-elle avant de nous présenter les poissons, la tête de clown et autres fantaisies aux couleurs vives préparées pendant le confinement pour le hall du Théâtre Antoine Vitez. Medhi Kerouani partage tout l’enthousiasme de Linda. « Très peu aidé par les pouvoirs publics, le Théâtre El Duende a dû faire appel à son public pour assumer la perte de 75 000 euros causée par la fermeture du lieu. Pouvoir reprendre ainsi notre travail est un bonheur. Les conditions techniques offertes par le Théâtre Antoine Vitez et le Hangar sont parfaites, et l’accompagnement des Maisons de quartier très précieux ».
Un laboratoire ambulant
Linda Hede dans l’atelier de sa compagnie Laforaine. (c) Anaïs Heluin
Tout au long du mois de juin, le chariot va continuer de se rendre dans les différents quartiers populaires d’Ivry-sur-Seine, à des endroits choisis et repérés par les artistes et les équipes des Maisons de quartier impliquées dans l’aventure. Laquelle est pour Axel Taupin, coordinateur d’animation à la Maison de quartier Ivry Port, « une belle manière de remettre de la vie dans le quotidien des gens, après les deux mois très difficiles que nous avons tous traversés ». C’est aussi une manière de nourrir la relation qu’entretient sa structure avec El Duende dans le cadre d’un atelier de théâtre à l’année, et avec le Théâtre Antoine Vitez à travers des stages et un voyage au Festival d’Avignon proposé à un groupe d’habitants, bien sûr annulé cette année. « Les habitants doivent pouvoir participer à l’initiative, ils doivent se sentir autorisés à la faire vivre avec les artistes », exprime Axel Taupin.
Lors des premières sorties du Chariot, la lecture d’un texte écrit par une habitante dans le cadre d’un atelier d’écriture organisé par El Duende témoigne de cette envie de dialogue avec les Ivryens. De même que la présence, le 26 mai, d’une très jeune harpiste élève du Conservatoire de musique et de danse d’Ivry-sur-Seine, dont le blues a bien fait tourner la petite étoile. Ce croisement entre paroles d’artistes et d’habitants a vocation à s’approfondir, et à évoluer au fur et à mesure des sorties du chariot. « D’autres artistes participeront aussi aux futures sorties, parmi lesquels certains seront au programme de la saison prochaine du Théâtre Antoine Vitez, que mon équipe et moi réinventons en tenant compte de ce que nous sommes en train de vivre. Je crois que nous devons revoir nos chaînes de valeur, en commençant par revenir aux fondamentaux de nos métiers ». Le Chariot est au début d’un long chemin.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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