Le metteur en scène François Gremaud convertit la conférence d’Aurélien Barrau en objet théâtral. Porté par Aurélien Patouillard, ce seul en scène sur « le plus grand défi de l’histoire de l’humanité » cherche autant à convaincre la raison qu’à persuader les esprits.
L’alarme sonne tellement souvent qu’on en vient à se demander si quelqu’un, encore, l’entend. Voilà plusieurs décennies que les scientifiques de tous horizons s’époumonent pour alerter sur les ravages causés à l’écosystème planétaire, décrire la sixième extinction de masse, anticiper le réchauffement climatique et mettre en garde contre un potentiel effondrement de nos civilisations. Dernier coup de semonce en date, le premier volet du sixième rapport du GIEC, paru il y a tout juste quelques semaines. A partir de l’analyse de plus de 14 000 études, ses rédacteurs dressent un état des lieux bien sombre : le dérèglement du climat touche d’ores et déjà l’ensemble du globe, à un rythme très rapide et avec une intensité sans précédent. Pis, si rien n’est fait, ils prédisent des catastrophes en cascade qui compliqueraient singulièrement, voire compromettraient, la vie sur Terre. Avec la verve qu’on lui connait, l’astrophysicien Aurélien Barrau avait lui aussi, en octobre 2019, tenté d’apporter sa pierre à l’édifice lors une conférence donnée à l’Université de Lausanne à propos de ce qu’il appelait « le plus grand défi de l’histoire de l’humanité ». Conférence que le metteur en scène François Gremaud a décidé d’adapter au théâtre, de confier à un autre Aurélien (Patouillard) et de donner, après sa création au Théâtre de Vidy-Lausanne, lors du week-end d’ouverture du 50e Festival d’Automne à Paris.
D’emblée, le scientifique signale qu’il n’ira pas par quatre chemins : « Nous allons parler un petit peu de l’état du monde, donc je vous fais d’ores et déjà mes excuses, ça ne va pas être très drôle, ça ne va pas être très gai », prévient-il. Et Barrau d’égrener ces chiffres qui, même s’ils sont désormais bien connus, donnent toujours le tournis : « En 40 ans, on estime que 400 millions d’oiseaux ont disparu des cieux d’Europe, que 60% des populations d’animaux sauvages se sont éteintes, que 80% des insectes volants ont disparu d’Allemagne et que les grandes espèces de poissons d’eau douce ont décliné de 88%. » Conscient du « désespoir » des spécialistes face à l’inaction globale, il l’est tout autant d’une certaine lassitude des populations – « L’écologie, c’est très bien d’en parler beaucoup, mais on en parle tellement que beaucoup de gens commencent à se dire que le problème est forcément traité, c’est tellement présent médiatiquement que nécessairement il est en cours de résolution. Soyons clairs, c’est faux ! » Alors, il délaisse rapidement sa casquette de « Captain Konstadt » pour, à la fois, pointer les causes du mal et esquisser certaines pistes pour essayer de l’endiguer ou, à tout le moins, de limiter les dégâts.
Et c’est dans cette dernière partie que l’astrophysicien apporte sa contribution la plus inédite au combat. Une fois les errements pointés du doigt – surconsommation de viande, utilisation des pesticides, artificialisation des sols, destruction des terres vierges et des forêts… –, il identifie une dizaine de pistes d’actions. Certaines, comme le politique ou l’éthique individuelle – les fameux « petits gestes » –, sont évidentes, mais d’autres, psychologique – la difficile appréhension d’un danger lointain –, symbolique – la remise en cause de la hiérarchie des valeurs dans nos sociétés – ou mythologique – le remplacement des figures d’Achille ou d’Ulysse par une créature hybride femme-animal –, paraissent beaucoup plus osées, mais non moins censées au cœur de la démonstration où elles interviennent. D’autant que François Gremaud a, dans les pas de Barrau lui-même, cultivé l’art du décalage. Liant le geste à la parole, l’artiste a remisé tous les accessoires – chaises, piano, projecteurs, transpalette… – en fond de scène pour ne garder qu’un plateau cruellement nu, dépouillé, symbole extrême d’une scénographie durable à souhait.
Ne subsiste qu’un petit carré au sol, sorte de podium étroit et sans hauteur, tel un ilot de résistance ou l’allégorie de ce qui pourrait advenir du monde, un minuscule endroit habitable dans un immense océan de vide. Cet espace, Aurélien Patouillard l’habite avec une présence étonnante. Il ne s’agit pas pour le comédien d’adopter un ton péremptoire, de mimer les gimmicks universitaires, de répondre aux impératifs d’une conférence, mais bien de faire du substrat qu’il lui a été confié un objet éminemment théâtral. Guidé par François Gremaud, qui avait déjà réussi ce coup de force avec Phèdre !, il parvient à dépasser le rôle de simple passeur et à offrir un autre regard sur le discours de Barrau. Loin du magistère de celui qui sait, il adopte une attitude vibrionnante, souvent primesautière, parfois enfantine. Façon, pour lui, de modifier l’état de réception de celui qui écoute, et de tenter de le prendre, malgré tout et en dépit de ses connaissances, par surprise. Par le truchement du théâtre, le tandem ne cherche pas seulement à convaincre, mais aussi à persuader, à utiliser les arguments rationnels et à solliciter la raison, mais aussi à faire appel aux sentiments et aux émotions, à parler, en somme, autant au cerveau qu’au cœur, à tenter d’emprunter une autre voie pour essayer de secouer, enfin, les esprits.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Auréliens
Texte Conférence d’Aurélien Barrau
Conception, adaptation et mise en scène François Gremaud
Avec Aurélien PatouillardProduction Théâtre Vidy-Lausanne, 2b Company
Durée : 1h
Théâtre de la Ville – Espace Cardin, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
le 4 septembre 2021Festival Actoral, Marseille
les 21 et 22 septembreFestival International des Arts de Bordeaux Métropole
les 5 et 6 octobreUsine à Gaz, Nyon
les 8 et 9 octobreThéâtre au Fil de l’Eau, Pantin, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
les 15 et 16 décembreLa Comédie de Valence, CDN
du 11 au 14 janvier 20222 Scènes, Scène nationale de Besançon
les 22 et 23 marsLa Passerelle, Scène nationale de Gap
les 4 et 5 avrilThéâtre Christian Ligier, Nîmes
le 7 avrilTANDEM, Scène nationale Arras Douai
les 19 et 20 mai
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