Road-movie théâtral entre le nord-est parisien et le Nigéria, entre le politique et l’intime, entre hier et aujourd’hui, How far mis en scène par Anne Monfort crée des passerelles entre les mémoires occidentales et africaines mais se perd dans des visions trop évanescentes.
On pourra profiter d’How far pour faire une remise à niveau sur l’histoire post-coloniale de la France. La guerre au Biafra, à la fin des années 60, est restée dans la mémoire collective via la création de Médecins Sans Frontières, nouvel ordre humanitaire incarné par Bernard Kouchner et les « french doctors » nés de la première « famine télévisée » qu’elle a occasionnée . Ce que l’on connaît moins, même si ce n’est plus caché, c’est l’ambiguïté du rôle de la France dans ce conflit déclenché par les velléités d’indépendance du Biafra vis-à-vis du Nigéria, dont il était et est finalement demeuré une région. Une ambiguïté et même une contradiction entre le soutien au régime officiel affiché par la diplomatie française du Quai d’Orsay et l’aide dispensée en secret à la rébellion des Ibos, via des approvisionnements en armes et autres moyens logistiques orchestrés par Jacques Foccart, le Monsieur Afrique du Général de Gaulle. Un exemple supplémentaire de la longue histoire de la Françafrique et de la diplomatie souterraine de la France visant à préserver son influence sur le continent africain.
Si How far évoque cette période, il se présente pour autant davantage comme un spectacle poétique qu’historique. Dans une station service du 93, du côté de l’aéroport Charles de Gaulle (justement), dans ces entrelacs autoroutiers qui forment des nœuds ouvrant sur l’infini des paysages possibles du monde, une station service ferme. Une femme fait « un plein fantôme » qui ne laissera aucune trace sur son compte bancaire. Et nous voilà débarquant en Afrique, dans les années 70, à bord de ces Peugeot 504 françaises qui envahissent les villes du Nigeria où elles étaient quotidiennement envoyées à bord d’avions cargo, en caisses de pièces détachées. L’histoire qui suit opère ainsi : par des aller-retours entre le Nord-Est de Paris et l’Afrique, entre hier et aujourd’hui, via le texte élégant, elliptique et aérien écrit par Laure Bachelier-Mazon.
Au plateau, Anne Monfort l’imprègne d’une atmosphère fantastique. Quelques vieilles photos d’archives en fond de scène, un arbre, des pneus, et au sol, ces flaques d’eau aux arcs-en-ciel gazolés d’où surgissent les souvenirs portés par Suzanne, femme occidentale qui a vécu son enfance au Nigéria, et Amadi, jeune réalisateur nigérian qui bosse comme gardien de la station-service qu’on démantèle. On navigue dans la pénombre entre récits personnels et politiques à travers réminiscences et passerelles entre les imaginaires des deux continents. On passe également d’une langue à l’autre – le français, l’anglais (le Nigeria n’est pas francophone) et le pidgin. Le tout dans une atmosphère toute en suspension, entretenue par un jeu en retenue et les belles interventions lyriques, comme surgies de nulle part, de Marion Sicre sur la composition musicale de Nuria Gimenez Comas.
Quelques flashes fonctionnent, quelques images naissent, surgissant de la mémoire collective et du pouvoir évocateur des mots. Mais la composition fragmentaire, la narration allusive, les aller-retours spatio-temporels, les changements de langues et la dispersion de la narration entre quatre interprètes créent un dispositif trop complexe. Perdu entre les personnages et les époques dans une atmosphère onirique, et donc forcément un peu confuse, le spectateur s’égare. De ces nœuds autoroutiers, faire le point de ralliement de mémoires qui se rejoignent était une belle idée mais l’on s’y retrouve malheureusement désorientés.
Eric Demey – www.sceenweb.fr
How far
Texte Laure Bachelier-Mazon
Conception et mise en scène Anne Monfort
Traduction en anglais et collaboration artistique May Hilaire
Avec Pearl Manifold (comédienne), Marion Sicre (chanteuse lyrique), Brigitte Tsafack (comédienne), Heza Botto (comédien)
Composition musicale Roque Rivas
Composition et création sonore Eve Ganot
Création lumière et régie générale Cécile Robin
Administration et production Yohan Rantswiler
Production et Diffusion Florence Francisco et Gabrielle Baille – Les Productions de la Seine
Relations presse Olivier Saksik – Elektronlibre
Production day-for-night
Partenaires Compagnie Feugham et le La’akam (Bafoussam, Cameroun), festival Univers des mots (Conakry, Guinée), Arojah Royal Theatre (Abuja, Nigeria)
Coproduction GRRRANIT Scène nationale de Belfort, Centre dramatique national Besançon Franche-Comté
Avec le soutien de le Colombier – Bagnolet, Théâtre Public de Montreuil – Centre dramatique national, résidence de création au Grand Parquet, maison d’artistes du Théâtre Paris-Villette, Institut français de Paris, CITF
La compagnie day-for-night est conventionnée par la DRAC Bourgogne Franche-Comté et par la Région Bourgogne Franche-Comté et soutenue dans ses projets par le Conseil départemental du Doubs et la Ville de Besançon. Elle est en compagnonnage plateau DGCA avec Louise Legendre et May Hilaire.Durée 1h
Le 12 janvier 2024
Création France
Le GRRRANIT, Scène nationale BelfortDu 6 au 10 février 2024
Le Colombier – BagnoletDu 13 au 15 février 2024
Centre dramatique national de Besançon Franche-ComtéDu 19 au 29 février 2024 au Laboratoire artistique du Kamer (La’akam), Bafoussam (Cameroun)
Novembre 2024Création Nigeria
Arojah Royal Theatre, Abuja (Nigéria)
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