Amal Ayouch et Sanae Assif font appel à Anne-Laure Liégeois pour mettre en scène les mots de la sociologue marocaine Fatema Mernissi, dans une forme simple, mais percutante.
« Je suis née dans un harem à Fès », ce sont les premiers mots prononcés sur scène par Amal Ayouch, figure phare du cinéma marocain. Avec Sanae Assif, jeune actrice lauréate du Conservatoire d’art dramatique de Casablanca, elles se sont associées à l’expertise de la metteuse en scène Anne-Laure Liégeois pour proposer une forme frontale, fondée sur les écrits de Fatema Mernissi. Traduite en 22 langues, la sociologue, professeure, chercheuse, essayiste et romancière, décédée en 2015, était une figure majeure du féminisme musulman. Dans Le Harem politique (1987) ou Rêves de Femmes (1996), l’universitaire marocaine interrogeait l’islam, les traditions, la modernité. Elle menait ses travaux à partir de témoignages recueillis sur le terrain, mais aussi en se fondant sur sa propre expérience, ayant grandi dans un harem à Fès.
Anne-Laure Légeois s’est donc penchée sur l’imposante matière que l’autrice a laissée derrière elle – ses écrits, mais aussi ses conférences, ses interviews, ses notes, ses articles de presse – pour composer un texte percutant, empli d’humour. Le récit, en partie autobiographique, pris en charge par Amal Ayouch et Sanae Assif, explore l’architecture des dominations et la notion de frontière (hûdûd). La première est celle qui sépare le salon de la cuisine dans la maison d’enfance de la narratrice. L’un est réservé aux femmes, l’autre leur est interdit. « L’honneur de mon père dépendait de cette séparation », explique-t-elle. On croise dans ce récit les rêveries intérieures de ses tantes, les désirs et les joies de ces femmes qui dansent, qui racontent des histoires, qui organisent des escapades nocturnes secrètes. « Je veux que mes filles aillent la tête haute dans la planète d’Allah en regardant les étoiles », répétait la mère de la narratrice. Elle y raconte cette maison, où l’extérieur n’existe pas, où la nature n’est présente qu’à travers les arabesques des mosaïques ou les oiseaux tissés des broderies, et où toutes les fenêtres donnent sur la cour intérieure.
En grandissant, la narratrice découvre que les dominations sont également présentes en dehors du harem. « Partout où il y a des hommes, il y a des lois invisibles. Si tu respectes ces lois, rien ne peut t’arriver. Et ces lois sont plus dures que les murs d’un harem », la met en garde l’une de ses tantes. Elle en fait l’expérience dans un magasin français, où la vendeuse est incapable de lui vendre autre chose qu’une taille 38. La narratrice explore ainsi d’autre formes de diktat, celui d’un « harem occidental, un harem de la taille 38 ». Dans une parole simple, mais néanmoins scientifique, le récit remonte jusqu’aux textes sacrés et religieux, à la recherche de sultans oubliés. La narratrice questionne également la perception occidentale des harems, vus comme des paradis sexuels où la femme, disponible, est parfaitement heureuse de sa condition, mais aussi ses interprétations hollywoodiennes ou encore les odalisques d’Ingres, Matisse ou Picasso.
Dans la lignée assumée des Mille et une nuit, les mots de Fatema Mernissi nous rappellent la puissance de l’évocation et de l’imaginaire, pour transmettre, pour donner espoir et abolir ainsi les frontières. Amal Ayouch et Sanae Assif proposent une forme sobre, à mi-chemin entre la conférence et le conte, afin de laisser toute leur place aux mots de l’autrice marocaine : « Je créerai par mes mots magiques une maison sans mur, un territoire sans peur, pour mon public ».
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Harems
d’après les écrits Fatema Mernissi
Conception, mise en scène, dramaturgie, scénographie Anne-Laure Liégeois
Avec Amal Ayouch, Sanae Assif
Collaboration à la dramaturgie Asmaa Houri, Amal Ayouch
Collaboration à la direction d’actrices Olivier Dutilloy
Lumière Guillaume TessonProduction Le Festin
Coproduction Gorara pour les arts et les cultures ; Théâtre Mohammed V ; 19h théâtreDurée : 1h
Festival Off d’Avignon 2023
La Manufacture
du 7 au 24 juillet, à 13h (relâche les 12 et 19)Tournée en cours de construction
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