Au Festival d’Aix-en-Provence, la metteuse en scène allemande Andrea Breth présente une version de l’opéra de Puccini qui n’est pas sans beauté, mais dont le propos ne dépasse pas l’esthétisme décoratif traditionnel.
En 2019, tout juste arrivé aux commandes du Festival d’Aix-en-Provence, Pierre Audi offrait à Puccini sa toute première apparition dans l’histoire du festival avec une très originale Tosca. Relue d’une manière on ne peut plus distanciée par Christophe Honoré, elle était déjà conduite par la baguette de Daniele Rustioni, brillant directeur musical de l’Opéra de Lyon. Cinq ans plus tard, voici Madame Butterfly, où le chef démontre à nouveau sa pleine attention pour le drame et sa passion pour cette musique. Au moyen de tempi ardemment emportés, puis généreusement alanguis, son travail très évocateur et équilibré laisse se déverser le luxuriant lyrisme puccinien, mais rend tout autant justice aux finesses et nuances de la partition. Il s’emploie aussi à faire entendre l’émanation d’une grande douceur, d’une sombre tristesse comme l’explosion d’une brutalité presque sauvage.
Pour ses débuts aixois, la célèbre soprano Ermonela Jaho retrouve un rôle qu’elle a déjà beaucoup chanté et qu’elle maîtrise à la perfection. Bien sûr, elle n’est, et n’a jamais été, une Butterfly vocalement volumineuse, mais sa frêle et vulnérable geisha, aussi timide ingénue qu’amoureuse passionnée et malheureuse, s’avère puissamment émouvante et intensément habitée, jusqu’à sa mort très ritualisée. Son chant tout en demi-teintes et en beaux sons filés est modelé de façon qu’il ne cherche jamais à forcer. L’officier américain, dont elle est sincèrement éprise, est quant à lui bien sonore. Il a la belle allure du jeune ténor Adam Smith, dont l’aigu rayonnant s’est un peu tendu, durci et grippé le soir de la première, mais le chanteur présente tout de même les qualités d’un excellent Pinkerton. Dans l’ensemble, les seconds rôles passent pour trop communs.
Introduite par trois coups de gong, jouée dans ses oripeaux traditionnels, la représentation assume pleinement la couleur locale de son livret et de sa musique. Kimonos et paravents – entre autres – pourraient flatter l’œil s’ils paraissaient moins ternes et figés. Hommage maladroit à la technique d’impression à plat et à son utilisation des vides et des pleins, la mise en scène d’Andrea Breth se déplie sans trop de relief. Son plateau peine à s’animer malgré la présence de six danseurs japonais, hélas sous-employés, dont les visages sont parfois masqués et les gestes lents, rares cérémonieux – lavage de pieds, service du thé. Autour de l’unique décor d’habitat japonais à l’architecture spartiate et familière, sont manipulées des marionnettes d’oiseaux et de nombreux objets ancestraux ou sacrés qui défilent sur des tapis roulants et semblent vouloir traduire scéniquement le concept d’ukiyo-e (« image du monde flottant »).
Sans trop de maniérisme, la représentation évoque le pouvoir de fascination d’un Japon fantasmé par l’imaginaire occidental qui, dès la seconde moitié du XIXe siècle, est séduit par la nouveauté de l’art venu d’Extrême-Orient. Largement inspiré par les estampes sur lesquelles, à travers des petites scènes de genre, s’esquissent la vie quotidienne croquée sur le vif des Japonais, le spectacle met en valeur l’exotisme pittoresque dont se réclame l’ouvrage créé en 1904. L’intention pourrait interroger les stéréotypes véhiculés par les courants orientalistes, mais la mise en scène dénote plutôt une confondante pauvreté de réflexion et d’inventivité. Une telle production mérite-t-elle alors de figurer au programme du Festival d’Aix-en-Provence ? On en doute. Sans vouloir faire injure au travail d’Andrea Breth, qu’on a connue d’une radicalité plus bravache, son spectacle aurait peut-être davantage sa place dans une maison de répertoire tant il paraît classique voire routinier. Les puristes défendront peut-être l’idée que l’histoire y est simplement racontée telle que tout le monde la connaît, mais ce cruel fait divers colonialiste devrait être porté à la scène avec plus de responsabilités.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Madame Butterfly
Opéra en 3 actes de Puccini
Livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène Andrea Breth
Avec Ermonela Jaho, Adam Smith, Mihoko Fujimura, Lionel Lhote, Carlo Bosi, Inho Jeong, Kristofer Lundin, Albane Carrère, Kristján Jóhannesson
Choeur et orchestre Opéra de Lyon
Scénographie Raimund Orfeo Voigt
Costumes Ursula Renzenbrink
Lumière Alexander Koppelmann
Dramaturgie Klaus BertischNouvelle production du Festival d’Aix-en-Provence
Coproduction Opéra National De Lyon, Komische Oper Berlin, Théâtres de la Ville de LuxembourgDurée : 2h45
Festival d’Aix en Provence
les 5, 8, 10, 13, 16, 19 et 22 juillet
Théâtre de l’ArchevêchéOpéra de Lyon
du 22 janvier au 3 février 2025Diffusion le 6 juillet à 20h sur France Musique et, en léger différé, le 13 juillet sur Arte et sur Arte.tv
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