La mise en scène originale et hyper sensible que réalise Christophe Honoré de Tosca de Puccini au Festival d’Aix-en-Provence s’empare avec autant d’humour que d’amour du mythe de la diva d’opéra et déchaîne toutes les passions et tous les excès.
L’amateur d’opéra, que l’on sait parfois un brin rétif et hâtivement contestataire, est aussi quelqu’un de fort nostalgique. Il aura forcément le cœur serré devant cette approche inédite de Tosca de Puccini. Car elle s’offre comme un panthéon aux plus grandes titulaires du rôle, et plus généralement aux « servantes » d’un genre largement fétichisé.
Dans un salon bourgeois décoré avec goût et saturé d’objets, de photos, d’affiches, de costumes et accessoires de scène, Catherine Malfitano, 71 ans, écoute pensivement sur un disque vinyle le célèbre « Vissi d’arte » qu’elle a autrefois chanté. C’est ainsi que commence la Tosca atypique de Christophe Honoré où prime une émotion vibrante, s’apparentant à la mélancolie d’un autre âge, d’une époque fastueuse où Tosca portait fièrement une longue robe de velours rouge et se propulsait comme une figure mythique de la femme-artiste passionnée. En 1992, la cantatrice jouait le rôle-titre de Tosca aux côtés de Placido Domingo et Ruggero Raimondi dans une super production télévisuelle mondialement diffusée qui réalisait le projet fou de tourner Tosca en direct à Rome, dans les lieux et aux heures mêmes où se passe l’intrigue. Ici, le jean a remplacé le costume Callassien. Pas de portrait de vierge en l’église Sant’Andrea della Valle, pas de souper au palais Farnèse, encore moins de fusillade et de suicide du haut du château Saint-Ange. Le bâtiment est simplement évoqué par une maquette qui trône en majesté. Tout n’est que souvenirs dont la réminiscence suscite de frémissantes sensations.
Célébrissime, l’oeuvre de Puccini n’avait jamais été donnée au Festival d’Aix, comme d’ailleurs aucune des pièces du compositeur pourtant si populaire. Il ne faut pas s’attendre à ce type de productions routinières propre à sévir et parfois s’user des années durant au répertoire d’un théâtre. Le projet est conceptuel et singulier. Faisant fi du tissu narratif de la pièce, Christophe Honoré raconte une toute autre histoire. Son décor intimiste, soudainement bondé comme un hall de gare, accueille solistes, choristes, musiciens, producteurs, assistants… Tous sont présents pour répéter sous le regard bienveillant et avisé de l’illustre diva la version concertante de l’oeuvre qui sera donnée en remembrance de sa gloire passée. Cela peut sembler alambiqué, et l’est parfois, mais la proposition fonctionne.
La mise en scène riche de plein d’actions annexes se concentre sur la rencontre entre les deux Tosca que tout semble opposer. L’aînée qui encaisse douloureusement, mais élégamment, le temps qui a passé et l’usure de ses moyens va revivre telle une papesse lyrique la cohorte des admirateurs demandant photos et autographes, et voir défiler sa carrière et ses grands rôles. L’ingénue que représente Angel Blue, formidable soprano, est quant à elle promise à un avenir radieux. Se noue entre elles une fort belle complicité basée sur le respect et la transmission.
L’utilisation de la vidéo en direct met en valeur chaque détail et expression d’une direction d’acteur au cordeau. Le premier acte pose le cadre atypique de la proposition et se présente comme une masterclass où Honoré s’amuse à faire la satire du petit monde lyrique aimant tout autant l’art que l’entre-soi. Le deuxième acte, au cours duquel Puccini met en scène une tentative de viol et un meurtre, rien que cela, dérape en une petite sauterie où sous le coup de l’alcool et de l’émotion, le sexe se fait brutal, non désiré ou tarifé. Sorte d’apothéose, le troisième acte sera la consécration de la jeune chanteuse promue au rang de nouvelle star lyrique.
L’orchestre de l’Opéra de Lyon a regagné la scène et s’exécute à vue sous la baguette pêchue de son chef permanent, le juvénile Daniele Rustioni. Particulièrement enthousiasmante est son approche de l’oeuvre d’un lyrisme ardent. Avec intensité et volupté, s’exaltent les couleurs et se ménagent de saisissants effets. La soprano américaine Angel Blue, qui fait sa prise de rôle, éblouit de son chant généreux et particulièrement émouvant. Si le ténor Joseph Calleja, certes plein d’abattage, mais aux aigus graillonneux, est le point faible de la distribution dans Mario, le Scarpia de Alexey Markov, campé comme un Don Juan entre le séducteur et le prédateur, est vraiment passionnant. Evidemment, Tosca ne chutera pas vers le Tibre comme le veut la convention, mais la mort conclue de façon dramatique la soirée. La vieille Prima Donna transcendée d’émotion, mettant inopinément fin à ses jours sous le regard médusé de l’assistance. Tragique et poignant.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Tosca
de Giacomo Puccini (1858-1924)
Melodramma en trois actes
Livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d’après la pièce de Victorien Sardou « La Tosca »
Créé le 14 janvier 1900 au Teatro Costanzi de RomeDirection musicale Daniele Rustioni
Mise en scène et vidéo Christophe Honoré
Scénographie Alban Ho Van
Costumes Olivier Bériot
Lumière Dominique Bruguière
Collaborateur à la vidéo Baptiste Klein
Recherche documentation Pierre FlinoisFloria Tosca Angel Blue
Prima Donna Catherine Malfitano
Mario Cavaradossi Joseph Calleja
Il barone Scarpia Alexey Markov
Cesare Angelotti Simon Shibambu
Il sagrestano Leonardo Galeazzi
Sciarrone Jean-Gabriel Saint Martin
Spoletta Michael SmallwoodChœur, maîtrise et orchestre de l’Opéra national de Lyon
Nouvelle production du Festival d’Aix-en-Provence
En coproduction avec l’Opéra national de LyonDurée : 2h50
Festival d’Aix 2019
Théâtre de l’Archevêché
4 6 9 12 15 17 20 22 juilletRetransmission en direct le 9 juillet sur France musique, Arte Concert, France TV et Mezzo.
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