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« La Séparation » : Alain Françon dans les vies parallèles de Claude Simon

A voir, Les critiques, Paris, Théâtre, Versailles
Alain Françon monte La Séparation de Claude Simon aux Bouffes Parisiens avec Léa Drucker
Alain Françon monte La Séparation de Claude Simon aux Bouffes Parisiens avec Léa Drucker

Photo Jean-Louis Fernandez

Avec la maestria précise qu’on lui connaît, Alain Françon exhume l’unique pièce de théâtre de l’auteur nobélisé, et peut compter sur le talent de Catherine Hiegel et Pierre-François Garel, tout simplement impressionnants, pour en faire reluire tous les atours.

En regard de La Route des Flandres, Histoire, Les Géorgiques, L’Acacia ou Le Jardin des plantes, pour ne citer qu’eux, il est peu de dire que La Séparation s’est faite discrète dans l’oeuvre de Claude Simon. Non publiée par les Éditions de Minuit du vivant de son auteur, cette pièce de théâtre, unique en son genre dans la bibliographie simonienne, n’apparaît même pas dans les deux tomes de la Pléiade consacrés à l’écrivain du Nouveau Roman, et aura dû attendre le mois de janvier 2019 pour sortir des cartons où elle prenait la poussière et paraître aux éditions du Chemin de fer, grâce à Mireille Calle-Gruber, l’ayant-droit moral de l’écrivain. Ce désintérêt, La Séparation le doit sans doute à la mauvaise étoile sous laquelle elle est née, à cette mise en scène donnée en 1963 au Théâtre de Lutèce, sous la direction de Nicole Kessel. Dans un article paru en 2020 dans les Cahiers Claude Simon, Dominique Viart raconte que l’auteur avait été « déçu » par la première de ce spectacle, dans lequel les critiques de l’époque, comme Michel Déon ou Gabriel Marcel, avaient cru voir du simple « théâtre bourgeois », poursuit l’universitaire, avant d’émettre l’hypothèse d’une « regrettable erreur de distribution », celle d’Alice Cocéa et Marcel Journet, peu au diapason de l’univers simonien, qui en aurait « faussé la réception ».

Dans Le Monde du 13 mars 1963, Bertrand Poirot-Delpech se fait d’ailleurs particulièrement saignant à propos du texte lui-même. « Avec une constance qui tourne au conformisme, presque toutes les pièces d’essai prennent pour thème depuis quinze ans cette même décomposition des pensées, des sentiments et des mots à l’épreuve du temps, et pour exemples presque exclusifs de cette décrépitude les mêmes scènes de vieux ménages égrotants et ergotants. Bien que cet intimisme désolé ait fait ses preuves – Tchekhov, James, Tennessee Williams, Duras, Antonioni… – et que la dérision conjugale ou gérontologique garde tout son pouvoir de suggestion – Ionesco, Beckett, Dubillard –, Claude Simon court le risque, à les cultiver si fidèlement, d’avoir l’air de répéter un exercice d’école et qu’on lui en impute l’usure ou les limites. À qui la faute ? Et alors ? Et après ?… », cingle-t-il, avec un style qui vous enterre pour les soixante prochaines années. Il fallait bien, alors, toute l’audace et le talent d’Alain Françon pour tenter de renverser la vapeur, et « signer la véritable création de La Séparation », comme Mireille Calle-Gruber l’appelle de ses voeux dans le programme de salle.

Tirée du roman L’Herbe, sans en être une adaptation stricto sensu, cette pièce miroir, scindée en deux actes, prend place dans une configuration scénique extrêmement singulière, et symbolique, soit, conformément à la didascalie liminaire, dans « deux cabinets de toilette » séparés par une cloison. Cet axe de symétrie pourrait, à lui seul, expliquer le titre choisi par Claude Simon, mais, à mesure que la pièce avance, la « séparation » se fait polysémique, et fracture aussi les vies des personnages en présence. Dans chacun des deux cabinets, se tient un couple : à jardin, celui formé par Georges et sa femme Louise ; et, à cour, celui des parents de Georges, Sabine et Pierre. Toutes et tous sont réunis dans cette demeure, entourée par une nature en voie de pourrissement avancé – à l’image de ces cinq hectares de poiriers dont les fruits moisissent au sol –, dans l’attente de la mort de la soeur de Pierre – inspirée de la figure de « tante Mie », la tante paternelle de Claude Simon, à qui il avait consacré L’Herbe –, à ce point imminente que tout le monde, ou presque, l’a déjà enterrée, et n’en a plus que faire. Dans cette unité de lieu et de temps, Claude Simon n’insère a priori aucune action particulière, excepté, et c’est là tout le sel subtil de la pièce, l’écoulement des « ruisseaux souterrains » qui agitent en leur for intérieur les personnages. Car, sous leurs dehors lisses et bourgeois, les deux tandems sont, comme la nature environnante, en voie de décomposition avancée : marqué par son expérience de la Seconde Guerre mondiale, irrité par une mère dont il ne supporte plus les « jérémiades », Georges se rend bien compte qu’il ne « s’entend plus » avec Louise et que sa femme, lettre portée en cachette au facteur faisant foi, est prête à le quitter pour un autre ; quand, de l’autre côté de la cloison, Sabine, obnubilée par la perte d’une émeraude, effrayée par la mort et grande amatrice de cognac, se désespère de voir son mari s’éloigner d’elle, et le soupçonne d’être volage depuis qu’elle a découvert la lettre d’une infirmière qu’il avait rencontrée après avoir été blessé au front en 1916.

La guerre, les lettres, l’infidélité et, surtout, l’incapacité à communiquer, et donc à « s’entendre », au sens propre et figuré du terme, forment alors un fécond et subtil jeu de correspondances qui voient l’ensemble des personnages entrer en résonance les uns avec les autres. Tandis que, dans le miroir de son cabinet de toilette, Louise semble observer le reflet de celle qu’elle pourrait devenir, sa belle-mère Sabine, assise juste en face, à sa hauteur, les passés de conscrit de Pierre et Georges, respectivement mobilisés lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, paraissent se répondre dans les blessures, morales ou psychiques, qu’ils ont causées. À l’inverse, les deux générations jouent à fronts renversés dans leur conception du couple et de la fidélité, puisque, chez les plus jeunes, c’est la femme, et non le mari, qui se révèle volage, moins, il est vrai, et contrairement à son aîné, pour assouvir en premier lieu des pulsions sexuelles que pour échapper à une vie conjugale qui ne lui convient plus. Quant à la mère, Sabine, et à son fils, Georges, ils se ressemblent, en dépit de la haine recuite du second pour la première, comme deux gouttes d’eau dans leur façon de s’adonner à une logorrhée égocentrée, qui use leurs partenaires respectifs et témoigne, en creux, du peu de cas qu’ils se font de leur mal-être. Ces quatre protagonistes sont aussi, et peut-être surtout, pris dans une telle spirale de mensonges et de non-dits qu’elle les contraint à se borner à des discussions quotidiennes, et pour l’essentiel banales, qui les divertissent des vrais sujets, et Claude Simon, en fin limier, en joue, et en surjoue, pour mieux en faire un symptôme de leur isolement fondamental, et se plaire, parfois, parce que la pression est devenue trop forte, parce que l’éléphant est devenu un peu trop gros au milieu de la pièce, à faire subrepticement déborder le vase.

Ce sous-texte, caché sous le vernis littéraire, Alain Françon l’exhume avec l’aplomb, la connaissance et le savoir-faire des très grands lecteurs. Comme il a su le prouver par le passé au contact de Marivaux, Tchekhov, Vinaver, Bond ou Ibsen, le metteur en scène ne laisse aucun mot, aucune phrase, aucun sous-entendu au hasard pour révéler l’envers de la parole, les zones d’ombre qu’elle laisse sur son passage et éclairer de la lumière la plus juste les protagonistes en présence. À cet égard, sa direction d’actrices et d’acteurs est, comme toujours, d’une précision d’orfèvre, et permet à Catherine Hiegel et Pierre-François Garel d’exceller dans les rôles de Sabine et Georges. Tout simplement impressionnants dans leur façon de s’emparer du texte, la comédienne et le comédien utilisent la parole logorrhéique dont ils ont la lourde charge comme un tremplin, et la font à ce point leur qu’ils permettent non pas seulement d’apercevoir, mais de directement ressentir le mal d’exister de ceux qu’ils incarnent, et qui semblent, depuis bien trop longtemps, avoir cessé de vivre. À leurs côtés, Alain Libolt et Léa Drucker se font, partition oblige, sans doute plus discrets, moins immédiatement brillants, mais néanmoins convaincants dans leur renoncement plus ou moins avancé – et peut-être fluctuant. Placée entre d’autres mains que celles de ce bel attelage, il y a fort à parier que La Séparation aurait pu encore une fois passer, comme en 1963, pour du « théâtre bourgeois » – surtout dans le décorum des Bouffes Parisiens –, mais, grâce au pouvoir du magicien Françon, elle prouve au contraire sa pertinence, son relief et sa profondeur. De quoi permettre au voeu de Mireille Calle-Gruber d’être pleinement exaucé.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

La Séparation
de Claude Simon
Mise en scène Alain Françon
Avec Léa Drucker, Catherine Hiegel, Catherine Ferran, Pierre-François Garel, Alain Libolt
Assistante mise en scène Franziska Baur
Décor Jacques Gabel
Lumières Jean-Pascal Pracht
Maquillages coiffures Cécile Kretschmar
Costumes Pétronille Salomé
Chorégraphe Cécile Bon
Musique Marie-Jeanne Séréro
Accessoires Stéphane Bardin
Vidéo Valéry Faidherbe

Production Théâtre des Bouffes Parisiens
Coproduction Théâtre des Nuages de Neige ; Théâtre Montansier, Versailles

Durée : 1h55

Théâtre des Bouffes Parisiens
du 24 septembre 2024 au 4 janvier 2026

Théâtre Montansier, Versailles
du 15 au 17 janvier 2026

26 septembre 2025/par Vincent Bouquet
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