Après les annonces d’Emmanuel Macron relayées par Franck Riester, hier, les syndicats sont partagés entre soulagement et frustration. Soulagement, bien sûr, de voir la revendication de l’année blanche aboutir, pour les intermittents, mais frustration devant le peu d’annonces concrètes concernant le secteur du spectacle vivant.
Devant les espoirs suscités par l’annonce de l’intervention du Président, on pourrait plagier Alexis de Tocqueville, quand il écrivait : « Les Français comptent toujours, pour se sauver, en un pouvoir qu’ils détestent ». Mais on n’en voudra pourtant pas à un secteur brutalement mis à mal par la crise du Covid, d’avoir attendu si fiévreusement les annonces d’Emmanuel Macron en ce jeudi 6 mai. C’est du moins ce que pense Nicolas Dubourg, président du Syndeac : « quand pendant deux mois rien ne se passe, c’est normal que le niveau des attentes soit si fort ».
Le Président aura d’ailleurs mis en scène son intervention à la manière du monarque tout puissant, pour ne pas dire du sauveur, en s’entourant en visioconférence d’artistes de premier rang de disciplines variées, avec qui il a discuté une paire d’ heures avant de délivrer ses annonces. « On ne demande pas de nouvelle figure de style de l’exercice du pouvoir » critique ainsi ce même Nicolas Dubourg qui, tout comme ses confrères, préférerait « sortir de la verticalité ». Denis Gravouil, du côté de la CGT, confie dans une courte litote « son étonnement sur la forme », tandis que même Philippe Chapelon, du SNES, avoue « n’avoir pas bien compris le format ». Au cœur des réunions préalables avec le Ministère de la Culture, comme Franck Riester, les corps intermédiaires, hier, ont en effet été mis de côté, « pas même mentionnés ».
« Le résultat d’une forte mobilisation »
Pas si revanchards, sur le fond, quand ils évoquent le souhait formulé par Emmanuel Macron, que les droits des intermittents soient prolongés jusqu’à fin août 2021, les syndicats passent tous cependant par la case satisfaction. La CGT s’arroge même quelques lauriers au passage, voyant dans cette décision « le résultat de la forte mobilisation », sous-entendu, que le syndicat a permis de faire monter. Avec le Syndeac, il s’interroge cependant sur les modalités de mise en œuvre de cette directive, qui restent très floues. Quid par exemple des nouveaux entrants, qui étaient sur le point d’accumuler assez d’heures pour être indemnisés, dont la CGT évalue le nombre à huit-dix mille personnes. Quid également des retours de congé maternité, ou encore de la nécessité de participer aux activités périscolaires, souvent évoquées par le Président. A ce sujet, Nicolas Dubourg rappelle que l’EAC ne peut être intégrée qu’à hauteur de 55 heures dans le calcul des droits et verrait d’un bon œil que cette envie du Président de faire que les artistes se déploient activement dans les écoles et les colonies de vacances de cet « été apprenant et culturel » offre également l’occasion de réviser la disposition de l’Unedic.
Pour le reste, c’est quand même une forme de déception qui règne, qui dépasse la simple posture du syndicat qui piquerait la bête sans répit pour que celle-ci ne songe pas à s’arrêter. « Il n’y a rien pour le secteur subventionné » souligne ainsi Nicolas Dubourg. Rappelant au passage que la billetterie et le mécénat ont pris une part de plus en plus importante au fur et à mesure des années, sous la pression de l’Etat, il demande à ce qu’on abandonne pas les structures labellisées quand ces sources de revenus disparaissent, sous peine de voir leur marge artistique fondre encore davantage. Même son de cloche du côté du SNES, qui exige « des aides massives, sinon on ne va pas s’en sortir ».
« Ce n’est pas une aide en millions dont le secteur de la culture a besoin »
Dans ce cadre, les 50 millions attribués au CNM pourraient constituer un signe encourageant. Mais ils sont plutôt repris comme le symbole d’un problème d’échelle. « J’attendais un soutien massif aux entreprises », rappelle le SNES. « Ce n’est pas une aide en millions dont le secteur de la culture dans son ensemble a besoin », lance la CGT. « Les pertes se chiffrent en centaines de millions, confirme le Syndeac, et même sans chiffrer, on aurait aimé que Monsieur Macron dise qu’il allait falloir donner les moyens pour sauvegarder le secteur ».
Pas assez d’engagements financiers sur la table donc. Mais au-delà du combien, les syndicats regrettent également à l’unisson le manque d’informations sur le comment. Le rapport Bricaire n’ayant fait que lancer la discussion, les appels répétés à l’invention sonnent creux pour Nicolas Dubourg qui voudrait qu’ « à défaut de pouvoir prévoir quand, on avance au moins sur le comment » de la reprise. Sont visées les conditions sanitaires bien sûr, pour la définition desquelles les trois syndicats indiquent que les rencontres avec le Ministère devraient bientôt démarrer.
« On est sensible à ce qu’il ait consacré une matinée à la culture, conclut, philosophe, Phillipe Chapelon. Le problème, c’est qu’hors l’importante question des intermittents, il n’y a eu aucune annonce pour nous ». Faut-il pour autant s’inquiéter que le Président Macron songe à mettre en pratique la deuxième partie de l’axiome de Tocqueville, qui restitué in extenso énonce en fait : « les Français comptent toujours, pour se sauver, en un pouvoir qu’ils détestent, mais se sauver par eux-mêmes est la dernière chose à laquelle ils pensent »… ?
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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