L’incertitude quant à la durée du confinement place les festivals d’été sur la sellette. A l’international, Bayreuth et le Fringe ont déjà annoncé l’annulation. Si comme au Festival d’Avignon, certaines équipes voient pour l’heure leur avenir avec optimisme malgré le drame qui secoue le pays, d’autres n’hésitent pas à exprimer leurs doutes, leurs fragilités.
« Depuis le confinement, nous vivons dans un contraste étrange entre immobilité et intensité. On prend des nouvelles des artistes, des techniciens. On déconstruit, on reconstruit… ». Au téléphone, Marc Jeancourt, directeur du Théâtre Firmin Gémier – La Piscine à Châtenay-Malabry, formule d’emblée les doutes qui traversent ces jours-ci les équipes des théâtres. Et celles des festivals du mois de juin. Car si le sort des événements du mois de mai semble déjà quasi-certain, est-il encore possible de nourrir quelque espoir de déconfinement pour le mois suivant ?
« Mais pourra-t-il être total ? Et quel sens cela aura-t-il de se réunir pour un festival après cette épreuve ? Comment aura-t-on envie de le faire ? », s’interroge Isabelle Juanco, responsable de la communication et du développement du Festival de Marseille prévu du 19 juin au 9 juillet. « Nous ne sommes pas le festival de Glastonbury : nous n’avons pas besoin de trois mois de montage, et pouvons donc attendre encore un peu avant de prendre une décision », dit à lui Dominique Delorme, directeur des Nuits de Fourvière (2 juin – 31 juillet). Un parti pris commun à la plupart des équipes dans sa situation.
L’international en péril
Tous les festivals ne sont toutefois pas égaux face à la catastrophe. Ceux qui accueillent de nombreuses compagnies internationales sont par exemple particulièrement sensibles au risque de l’annulation qui plane sur tous. C’est le cas du Printemps des Comédiens, qui doit entre autres accueillir la dernière création du marionnettiste portugais Paulo Duarte, la première française de The New Wilderness du Chinois Ramune Kudzmanaite ou encore L’Odyssée du Polonais Krzysztof Warlikowski. Le Festival de Marseille (19 juin – 9 juillet) est plus concerné encore par le problème. « L’un de nos partenaires principaux pour cette édition, la Saison Africa2020, pense à l’annulation », nous apprend Isabelle Juanco, très inquiète du sort de l’Afrique où le virus commence à sévir.
La Saison Africa 2020 est aussi un appui fort du festival de danse June Events de l’Atelier de Paris / CDNC, qui pour célébrer son anniversaire doit se dérouler sur un mois complet, du 2 au 27 juin 2020. « Nous voulions mettre à l’honneur cette année la dimension internationale de notre rendez-vous avec une programmation autour de la francophonie », explique Anne Sauvage, directrice de l’Atelier de Paris. Bien que faisant profession d’optimisme, Dominique Delorme relève lui aussi les difficultés que pose l’importante partie internationale de sa programmation. Il suffit de prendre l’exemple du spectacle d’ouverture pour mesurer la complexité du problème. « La chorégraphe anglaise Kate Prince devait faire chez nous la première française de sa pièce Message In A Bottle, après des dates à Londres. Mais celles-ci sont annulées ; quand bien même les danseurs pourraient prendre l’avion, ils n’auront pas répété depuis deux mois ».
Les créations en question
Les créations qui devaient naître à l’occasion des festivals d’été sont eux aussi source de bien des interrogations. Parmi les cinq créations du festival de cirque et des arts de la rue Furies (2-6 juin 2020) à Châlons-en-Champagne, son directeur Jean-Marie Songy nous apprend ainsi que « seule l’une d’entre elles est prête : celle de la compagnie 1 Watt. Pour les autres, l’annulation de résidences rend les choses très incertaines. Nous allons par exemple tenter de reporter au mois de mai une résidence du collectif 45° pour leur nouvelle création de cirque en espace public. Il y a encore la compagnie de cirque équestre Equinoctis, qui doit faire sa dernière résidence à Châlons-en-Champagne à partir du 15 mai… ».
Richard Fournier, directeur du Mans fait son Cirque (19 – 28 juin), fait état des mêmes inquiétudes. Comme ses confrères, il gère les choses au jour le jour. Et tente pour l’heure de trouver un lieu pour accueillir pendant un mois les équipes qui auront été privées du temps de travail nécessaire pour aller à la rencontre du public. « Je tiens à délivrer un message positif aux artistes, aux techniciens engagés sur le festival, ainsi qu’à l’ensemble de la profession, qui est très mobilisée », dit-il. Ce que confirme Marc Jeancourt, qui fait également tout pour maintenir son festival de cirque Solstice (20-28 juin), sensé s’ouvrir sur une création de Daniel Jeanneteau avec les élèves de l’Académie Fratellini. Une première rencontre avec le monde du cirque pour le metteur en scène et directeur du Théâtre de Gennevilliers, qui s’annonce très prometteuse…
Vers des éditions réduites… ou reportées
Parmi les personnes contactées pour cet article, une seule nous a annoncé une annulation : le directeur du Channel François Peduzzi, qui se lançait cette année dans une nouvelle aventure : Les Dunes de Miel, qui devait se dérouler sur le littoral calaisien. « Pour cette première édition, le calendrier était très serré. Le territoire étant complexe, l’équipe et les compagnies avaient notamment encore besoin d’un temps de repérage. Si la manifestation avait eu lieu au Channel, nous aurions pu nous adapter, au cas où les rassemblements soient permis. Mais là, c’était impossible ». L’alliance de l’art et de la nature devra attendre un an avant d’être scellée. Pour pouvoir donner leur chance aux compagnies dont les dates au Channel ont été annulées, François Peduzzi prévoit aussi d’avancer la rentrée de son lieu. Pour des retrouvailles festives.
Dans le cas où les rassemblements seraient autorisés, la plupart des équipes des festivals évoqués ici envisagent des éditions plus réduites que prévu. « Lorsque nous aurons fait le point avec tous les artistes, une analyse économique sera nécessaire pour voir s’il est possible d’envisager cette solution. Malgré la situation inédite, il faut que notre budget reste à l’équilibre », dit Dominique Delorme des Nuits de Fourvière. À l’Atelier de Paris / CDNC, la décision a été prise de reporter pour le moment les spectacles des africaines et québécoises. Les prochains jours seront décisifs pour Anne Sauvage qui envisage selon l’évolution de la situation un report complet du festival.
« Un report total est toutefois très délicat pour l’écosystème du spectacle vivant. Ajouter tout un festival de l’ampleur de June Events dans une saison parisienne déjà bien remplie va forcément nous pousser à réinventer son équilibre », alerte-t-elle toutefois. Ce risque est d’autant plus grand qu’en cas d’annulations en masse des festivals d’été, les reports sur la saison prochaine seront nombreux. S’il ne pouvait se dérouler aux dates prévues, Furies verrait par exemple sûrement le jour en septembre. Mais à ce jour, tout est encore en suspens. Jusqu’à mi-avril sans doute, où devraient se préciser les perspectives de déconfinement.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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